La pratique du forfait fiscal reste en sursis en Suisse. Elle a été abolie dans deux cantons (Zurich et Schaff­house), et le sera dès l’an prochain dans trois autres (les deux Bâles et les Rhodes-Extérieures d’Appenzell). Sur le plan fédéral, elle a franchi une étape jeudi: le Conseil des Etats a très nettement rejeté l’initiative populaire qui veut l’interdire dans l’ensemble du pays.

Cette initiative est portée par la gauche. Au Conseil des Etats, c’est Christian Levrat, le président du Parti socialiste suisse, qui en est le porte-drapeau. «La population est mécontente, car elle tient à l’équité fiscale. Or, l’équité fiscale doit être la fois horizontale et verticale. Horizontale, car on doit réserver un traitement fiscal comparable à des revenus comparables, ce qui signifie que les riches étrangers doivent être traités comme les riches Suisses. Verticale, car on doit réserver un traitement fiscal différent si la capacité économique est différente. Or, les forfaits fiscaux ne respectent pas ces critères», condamne-t-il.

Le forfait fiscal, aussi nommé imposition d’après la dépense, est réservé en priorité aux étrangers qui résident en Suisse mais n’y exercent aucune activité lucrative. En 2012, 5634 personnes étaient taxées ainsi. Elles ont payé 695 millions d’impôts, tous niveaux confondus. Il s’agit à 70% de retraités. Mais des sportifs et des artistes en bénéficient aussi. Les revenus qu’ils retirent de leurs activités à l’étranger sont taxés à la source, mais pas en Suisse. Ici, ils s’acquittent d’un montant forfaitaire que le parlement fédéral vient d’augmenter. La nouvelle législation entre en vigueur le 1er janvier 2014 et sera introduite progressivement. La base minimale de calcul de l’impôt passera à 400 000 francs ou l’équivalent de sept fois le loyer ou la valeur locative.

Six cantons recourent davantage à ce régime que d’autres: Vaud (207,8 millions de recettes en 2012), Genève (155,7 millions), le Valais (82,5 millions), le Tessin, les Grisons et Berne. Et ils y tiennent. «C’est une longue tradition, et l’autonomie des cantons est la clé de voûte du fédéralisme», insiste Jean-René Fournier (PDC/VS). Il souligne le fait que d’autres cantons, notamment en Suisse centrale, ont privilégié des régimes fiscaux attractifs pour faire venir des sociétés internationales, régimes qui sont désormais remis en question par l’UE.

Christian Levrat cite le cas de Zurich, qui a supprimé les forfaits fiscaux en 2009. «La moitié des 201 assujettis ont quitté le canton, mais les autres sont restés et les recettes fiscales sont plus ou moins identiques. Le départ d’un gros contribuable fait qu’elles sont aujourd’hui légèrement inférieures à leur niveau antérieur. Mais cela a libéré des logements luxueux, qui ont été repris par des contribuables qui paient davantage d’impôts», argumente-t-il.

«A Zurich, les forfaits fiscaux représentaient 0,15% des recettes fiscales du canton. En Valais, c’est 4%. Et les gens qui sont à ce régime investissent beaucoup chez nous dans l’immobilier, la culture, les infrastructures sportives et créent des emplois», réplique Jean-René Fournier.

Comme les milieux économiques défendent ce système, l’initiative qui en réclame l’abolition n’avait aucune chance au Conseil des Etats. Celui-ci l’a rejetée par 30 voix contre 9 et 3 abstentions. Trois des quatre représentants vaudois et genevois, qui sont tous de gauche, ont soutenu l’initiative. Le quatrième, Robert Cramer (Verts/GE), s’est abstenu. «L’initiative a déjà eu des effets bénéfiques. La Confédération et Genève ont fait des efforts pour que le forfait se rapproche de la situation économique réelle. Et, vu l’effet distributif de l’impôt, les plus démunis profitent aussi des recettes encaissées», explique l’ancien conseiller d’Etat. Deux socialistes se sont aussi abstenus: Claude Hêche (JU) et Hans Stöckli (BE).

L’initiative contre les forfaits fiscaux doit encore passer le cap du Conseil national, qui la rejettera sans doute aussi. Mais les partisans du maintien de ce régime auront plus de peine à convaincre le peuple, car seule une poignée de cantons en tire un réel profit.

Ils sont en train de fourbir leurs armes. L’Union suisse des arts et métiers (USAM) apportera son savoir-faire dans la campagne, annonce son président, Jean-François Rime (UDC/FR). «Mais nous aurons d’autres combats à mener en 2014, comme les initiatives sur les salaires minimaux et l’imposition des successions», relativise-t-il.

Présidée par le conseiller aux Etats Paul Niederberger (PDC/NW), une association d’avocats spécialisés bernois et vaudois répondant au nom de Mehrwert Schweiz (Plus-Value Suisse) s’est constituée dans le but de défendre les forfaits fiscaux. Elle est conseillée par le bureau Furrer, Hugi & Partner. «Et nous comptons sur la solidarité entre les cantons. Un nivellement fiscal signifierait la fin du génie suisse», avertit Jean-René Fournier.

L’Union suisse des arts et métiers et l’association Mehrwert Schweiz défendrontle maintien du système