Pas d’«Alleingang»
Aucun traité international n’oblige la Suisse à reprendre ce dispositif. Elle y a pourtant été invitée avec insistance par l’OCDE. Les pressions internationales qui ont abouti aux récentes réformes en Suisse de l’imposition des entreprises ont cependant fait passer à la Confédération le goût de l’Alleingang. Quitte à perdre un peu de son attractivité fiscale en comparaison de ses voisins et concurrents, la Suisse a donc décidé de s’aligner sur ce nouveau standard.
Il faut dire que si la Suisse avait décidé de ne pas bouger, les pays membres de l’OCDE auraient été fondés à venir «se servir». En clair: si une entreprise européenne dispose d’une filiale en Suisse et que cette dernière y est taxée à 13%, alors, le pays européen où est installé le siège aurait le droit de demander à la Confédération la différence, en l’occurrence 2%. Il s’agit donc de se mettre à niveau.
Cette taxe correspond à une hausse d’impôts en Suisse. Autrement dit, elle va créer un afflux d’argent dans les caisses fédérales et dans celles des cantons où les entreprises concernées sont actives. Ueli Maurer l’évalue entre 1 et 2,5 milliards de francs.
PME pas touchées
L’impôt cible des structures précises: les sociétés dont le chiffre d’affaires dépasse les 750 millions de francs. Ueli Maurer en a compté environ 2800 sur territoire suisse. Certaines, 200 à 300, y ont leur siège, par exemple Nestlé et Novartis. D’autres sont une filiale d’un groupe étranger. Pour l’immense majorité des entreprises qui font le tissu économique suisse, soit 600 000, cette nouvelle taxe ne change rien.
Le Conseil fédéral a tranché la question de la répartition de cet argent. Ce sera 75% pour les cantons et 25% pour la Confédération, qui utilisera cette manne dans des mesures qui doivent profiter à tous les cantons: mesures pour faciliter l’accès au terrain pour les entreprises, financement des universités, aides à la recherche, soutien à des quartiers de l’innovation, comme l’Y-Parc.
Les cantons qui abritent ces 2800 entreprises sont concernés au premier chef. Mais ceux qui n’en ont pas en profiteront donc également. D’où la question initiale: que faire de cet argent?
A Genève, une lutte pour la suppression de la taxe professionnelle va s’ouvrir, à lire le communiqué vert’libéral tombé dès la fin de la conférence d’Ueli Maurer. La suppression de cette taxe unique en Suisse est un cheval de bataille des partis de droite, qui s’étaient abstenus d’en parler durant la pandémie tout en prévenant que le combat reprendrait lorsque les cieux seraient plus cléments. Une initiative pour sa suppression est en cours. Une aide aux entreprises pour la transition énergétique est également espérée. Une réduction des impôts pour les personnes physiques peut être une piste, Genève ayant le taux d’imposition le plus élevé de Suisse.
Nathalie Fontanet, conseillère d’Etat chargée des Finances, modère ces enthousiasmes: «Il n’est pas possible à ce stade d’articuler des montants de nouveaux revenus que cette taxe pourrait générer. La différence peut paraître faible entre le taux de 13,99% pratiqué à Genève et celui de 15%. Mais cette taxe obéit à des règles fiscales de l’OCDE qui sont différentes des nôtres, cela rend difficile toute comparaison. Enfin, les éventuelles recettes n’interviendraient pas avant 2026. Le Conseil d’Etat préfère donc ne pas tirer de plan sur la comète. S’il devait y avoir des recettes, elles seraient prioritairement utilisées pour améliorer l’attractivité du canton pour ces entreprises.»
«La priorité est de rester concurrentiel, renchérit son homologue vaudois, Pascal Broulis. Les recettes sont incertaines et jusqu’à 2026 voire 2027, il n’y aura pas d’argent à distribuer. Il va donc falloir avant tout éviter d’augmenter les taxes voire les baisser un peu, en gardant à l’esprit que la situation internationale est pleine d’incertitudes.»
Pas sûr que cette prudence soit entendue à gauche. Dans nos colonnes, Pierre-Yves Maillard, président de l’Union syndicale suisse et conseiller national socialiste, préconisait un usage social de cet argent. Alliance Sud demande dans un communiqué que les recettes supplémentaires soient redistribuées aux pays à bas revenus dans lesquels les entreprises suisses produisent.
Le calendrier fédéral est serré. Les Suisses voteront sur le principe de cette taxe le 18 juin 2023, une modification de la Constitution étant nécessaire.