Les cantons inégaux dans l’intégration des réfugiés
Immigration
Des chercheurs bâlois ont examiné les pratiques cantonales: alors qu’aux Grisons plus de 17% des requérants d'asile travaillent, ils ne sont que 7% environ dans les grands cantons romands

L’intégration des réfugiés par le travail figure au cœur de la stratégie gouvernementale pour réduire les coûts de l’aide sociale aux migrants. La conseillère fédérale Simonetta Sommaruga l’a encore répété en avril dernier: l’Agenda intégration estime que 70% des réfugiés en âge de travailler «ont le potentiel de s’intégrer durablement dans le marché du travail». Or en 2016, près de 86% d’entre eux, sans emploi, vivaient de l’aide sociale en Suisse.
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Les cantons recevront davantage d’argent de la Confédération pour accélérer l’entrée sur le marché du travail des réfugiés. La Cheffe du Département fédéral de justice et police (DFJP) a annoncé un investissement de 132 millions de francs supplémentaires par année. Les autorités cantonales sont priées de travailler à des objectifs communs destinés à améliorer les compétences en langues des requérants, ainsi que leurs contacts sociaux, deux clés de l’intégration.
Grandes disparités entre les régions
Or les cantons devraient sans doute commencer par revoir leur cadre d’accès au marché du travail. C’est ce que suggère une étude* sur l’effet des politiques de régulation sur l’emploi des réfugiés envoyée en juin aux responsables cantonaux de la coordination de l’asile.
Réalisée par le professeur d’économie politique à l’Université de Bâle Alois Stutzer dans le cadre du NCCR – On the Move, un Pôle de recherche national (PRN) consacré aux études de migration et de mobilité, elle constate de grandes disparités entre les régions: alors qu’aux Grisons 17,5% des requérants d’asile sont actifs, ils ne sont que 7% environ à Genève et dans le canton de Vaud, 0,3% à Zurich ou Fribourg, ou encore 0% à Glaris, Nidwald ou Uri. En moyenne nationale: 8,4%.
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Plus le marché est libre, plus les réfugiés travaillent
«Les cantons avec un marché du travail ouvert parviennent à employer 11% de réfugiés en plus que les autres», relève Alois Stutzer. L’étude se penche uniquement sur les demandeurs d’asile avec un permis N, soit encore en attente d’une décision. Les chercheurs bâlois ont pu exclure d’autres variables souvent avancées pour expliquer les disparités cantonales en matière d’intégration: ce n’est pas la taille du canton, ni la nature du marché du travail qui influencent le taux de migrants actifs. Etant donné que les requérants ne peuvent choisir eux-mêmes leur lieu de résidence en Suisse jusqu’à la fin du processus de demande d’asile, la mobilité interne ne joue pas de rôle non plus.
Le degré d’ouverture du marché du travail reste le facteur déterminant. Plus les procédures sont rapides et peu contraignantes, plus les réfugiés auront de chances d’être actifs tôt. Obtenir un emploi rapidement augmente la probabilité de s’intégrer sur le marché du travail.
«Ces conclusions peuvent paraître évidentes, souligne Alois Stutzer. Mais nous sommes en mesure de contredire quelques présupposés. Ainsi, nous pouvons affirmer qu’une aide sociale plus généreuse n’est pas plus attractive qu’un emploi, même peu qualifié. Nous observons que les réfugiés, dès lors qu’ils ont la possibilité de travailler, s’en saisissent.»
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Protéger les chômeurs ou baisser les coûts de l’aide sociale?
Une règle vaut pour toute la Suisse: au cours des trois premiers mois après l’arrivée d’un requérant d’asile, ce dernier n’a pas le droit de travailler. Ensuite, pour l’embaucher, un employeur potentiel devra réclamer un permis de travail auprès des autorités cantonales chargées de la migration. A partir de là, chaque canton dispose d’une marge de manœuvre dans le traitement de ces demandes. Certains prolongent l’interdiction de travailler jusqu’à six mois. D’autres n’autorisent l’accès qu’à certains secteurs frappés par un manque de main-d’œuvre. Les délais dans lesquels sont délivrés les permis de travail diffèrent aussi d’une région à l’autre.
En moyenne, le taux d’activité des réfugiés entre 18 et 65 ans stagne autour de 20% durant les cinq premières années. Celui des personnes en admission provisoire se situe autour de 30% durant les sept premières années. Ces taux augmentent avec la durée du séjour: au bout de dix ans, 48% des réfugiés et 25% des personnes admises à titre provisoire possèdent un emploi, relevait une étude de 2014, mandatée par le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM). Des taux jugés insuffisants par l’OCDE.
Les autorités cantonales sont aussi responsables de l’octroi de l’aide sociale aux demandeurs d’asile. Des montants qui font en ce moment l’objet de contestations toujours plus fortes, surtout en Suisse alémanique. L’étude relève cette contradiction: «Le souci de ne pas gonfler l’immigration par un marché du travail trop souple entre en contradiction avec l’objectif d’avoir moins de réfugiés à l’aide sociale.»
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* Slotwinski, Michaela, Alois Stutzer und Roman Uhlig (2018). «Are Asylum Seekers More Likely to Work with More Inclusive Labor Market Access Regulations?» WWZ Working Papers, 2018/08.