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Les cantons riches exigent de réviser la péréquation

La facture croît. Zoug déplore les bénéficiaires qui baissent leurs impôts. Genève veut aussi des réformes

Les revendications ne sont pas nouvelles, mais le ton employé pour les faire s’est durci. Le ministre des Finances genevois David Hiler commente ainsi les remarques désabusées entendues cet été de la part de cantons donateurs de la nouvelle péréquation financière (RPT), surtout Zoug et Schwyz. Il précise: «Nous finançons des cantons qui procèdent à des baisses d’impôts; cela agace particulièrement Zoug.»

A moins d’une année de la mise en consultation du système de redistribution intercantonal pour la période 2016-2020, les aigreurs se manifestent plus expressément. Et les actuels donateurs (Zurich, Zoug, Genève, Schwyz, Bâle-Ville, Bâle-Campagne, Vaud, Nidwald et Schaffhouse) feront connaître durant septembre leurs aspirations de changement, sous forme d’une déclaration publique qui devrait souligner ce qu’ils voient comme les travers de l’actuelle péréquation.

L’Administration fédérale des financesa publié début juillet les montants des paiements compensatoires dus aux cantons en 2014. La Confédération et les cantons à fort potentiel débourseront 3,7 milliards pour les régions dites «à faible potentiel de ressources». Parmi ceux qui délient leur bourse, Zoug voit son ardoise croître chaque année d’environ 10% depuis 2008: en 2014, le paradis fiscal versera 280 millions de francs, soit 3 millions de plus que l’année précédente, ou encore 2514 francs par habitant (à Genève ce montant atteint 596 francs).

Pour le ministre zougois Peter Hegglin (PDC), «les limites de la solidarité fédérale sont atteintes lorsque certains cantons aux ressources basses profitent de l’argent de la RPT pour financer une baisse d’impôts». Résultat, Zoug réclame – la proposition peut surprendre de la part d’un paradis fiscal, as des tactiques pour attirer les entreprises – l’instauration d’une «réglementation du dumping fiscal». Autrement dit, un canton bénéficiaire de la RPT recevrait moins d’argent si ses taux fiscaux sont plus bas que ceux des régions donatrices.

Le principal visé est son voisin direct, Lucerne. Inscrit parmi les bénéficiaires de la péréquation (348 millions en 2014), le canton a choisi une politique fiscale agressive avec, en 2012, une réduction de 50% de l’impôt sur les bénéfices. «Nous nous retrouvons pénalisés alors que notre force financière est le fruit d’une stratégie sur le long terme, continue Peter Hegglin; cela ne nous empêche pas d’avoir des soucis comme tous les autres, par exemple pour notre caisse de pension.» Précision d’importance: le Zougois occupe le poste de président de la Conférence des directrices et directeurs des finances.

Ces critiques, également entendues à Schwyz, ont un aspect rituel. «Les cantons ont la parole, ils doivent en user, indépendamment des mesures possibles», rappelle Gérard Wettstein, spécialiste d’administration publique et à ce titre père de la RPT. Mais leur position actuelle prend de l’importance puisqu’à partir du printemps 2014, la période 2016-2020 sera en consultation. Le principe de solidarité, basé sur un «bricolage technocratique», montre aussi des faiblesses, reconnaît le spécialiste. «Nous n’avions pu imaginer qu’un canton donateur d’importance tel Zurich [ndlr: il verse 367 millions] devrait faire face à une crise financière comme celle vécue ces dernières années», avec la baisse des revenus fiscaux venus des banques. Or, si l’un d’eux s’essouffle, les autres donateurs doivent remplir la caisse.

Côté romand, le ton est plus retenu qu’à Zoug. On rappelle l’importance de Zurich, canton métropolitain en difficulté (dont certaines infrastructures font le bonheur des Zougois voisins) qui subit les contrecoups de la crise financière de 2008. «Nous devons faire en sorte que l’enveloppe ne continue pas d’augmenter à l’infini, prévient David Hiler, surtout lorsque l’on voit croître la pression sur les budgets des cantons.»

En 2014, la facture sera aussi à la hausse pour Genève à 270,3 millions (+12,9 millions) ou 596 francs par habitant, tandis qu’elle diminue légèrement pour Vaud, à 50,1 millions (–3,5 millions). Pour le conseiller d’Etat Pascal Broulis, il faut envisager une «évolution» et en aucun cas une «révolution» avec la péréquation financière. Prudent, il estime que «tout doit être fait avec doigté» pour préserver un système de solidarité envié loin à la ronde.

Parmi les propositions de réforme figure, hormis le frein au dumping fiscal, l’introduction d’une péréquation horizontale moins soumise au principe de l’arrosoir, qui se concentrerait davantage sur les cantons les plus à la peine, au détriment de ceux dont l’indice des ressources approche les 100 points. Elle créerait une catégorie neutre de cantons non contraints de débourser, mais également non receveurs. L’autre point concerne les fonds pour les cas de rigueur, mis en place en 2008 pour éviter qu’un canton à faible potentiel ne subisse une dégradation en raison du nouveau système. Elle peut actuellement durer vingt-huit ans. Là aussi, on n’exclut pas de reconsidérer les calculs.

Reste une inconnue de taille pour l’avenir de la péréquation financière tout autant que pour la santé des comptes cantonaux. Il s’agit de la troisième réforme de l’imposition des entreprises, susceptible d’influencer l’indice des ressources des cantons, notamment Genève, Schwyz et Zoug, avec l’abandon des statuts spéciaux pour les holdings étrangères. Gérard Wettstein prévient: dans ce contexte, «le manque de stratégie politique commune des cantons donateurs peut surprendre, surtout si l’on sait que leur camp est minoritaire».

Le principe de solidarité, basé sur un «bricolage technocratique», montre des faiblesses