Et si l’affaire CarPostal découlait des objectifs de rentabilité fixés à l’entreprise? Cette hypothèse est évoquée par un connaisseur du dossier au lendemain de la révélation des opérations comptables illicites effectuées par la filiale de La Poste. Cet observateur estime que cette question devra être posée par la direction et le conseil d’administration de La Poste ainsi que par le Conseil fédéral lui-même. Cela sera-t-il le cas? Il faudra sans doute attendre la conférence de presse bilan du groupe, le 8 mars, pour le savoir.

Tous les quatre ans, le Conseil fédéral fixe à La Poste des objectifs stratégiques. Il attend un «rendement conforme à la branche dans tous ses secteurs d’activité» et il est précisé que «La Poste mène une politique en matière de dividendes qui respecte le principe de continuité». A l’exception de 180 millions en 2013, le groupe verse chaque année un dividende de 200 millions à son propriétaire, la Confédération. Dans les desseins quadriennaux, le Conseil fédéral exprime aussi ses attentes à l’égard de CarPostal: position de leader sur le marché, tâches de gestion de systèmes pour les transports publics, activités à l’étranger «à condition que les risques restent supportables et qu’une rentabilité durable soit garantie», nouvelles offres de mobilité.

Les exigences de rentabilité ont pu influencer la pratique comptable des responsables de CarPostal

Pour qu’un dividende de 200 millions puisse être versé, La Poste doit réaliser des bénéfices. Elle ne peut pas compter sur le secteur Réseau postal et vente. Celui-ci est déficitaire depuis plusieurs années en raison du recul des opérations faites aux guichets: – 110 millions en 2015, – 193 millions en 2016, – 130 millions pour les neuf premiers mois de 2017. C’est sur les autres segments que se bâtit le bénéfice annuel nécessaire au versement d’un dividende: PostFinance, qui est la vache à lait du groupe, les colis, les opérations numériques et CarPostal. Cette filiale a dégagé un solde positif de 36 millions en 2016 et de 31 millions au terme des trois premiers trimestres de 2017. Il résulte de la hausse des «recettes du trafic et des indemnités de transport».

Or, comme le transport par autocar est subventionné par les collectivités publiques, le bénéfice doit surtout provenir des autres secteurs d’activité. Et c’est précisément dans ces «autres» que les 78,3 millions perçus indûment ont été comptabilisés entre 2007 et 2015. «Les exigences de rentabilité ont pu influencer la pratique comptable des responsables de CarPostal», note ce commentateur avisé. C’est aussi l’hypothèse avancée par Syndicom. Elle reste à vérifier, mais elle est accréditée par le fait que La Poste exclut tout enrichissement personnel des personnes impliquées dans ces opérations.

Qui est responsable?

L’établissement des responsabilités est complexe. Ecartés de l’entreprise dès lundi, deux dirigeants de CarPostal, le directeur démissionnaire Daniel Landolf et le chef des finances, sont les premiers visés. Jusqu’en 2015, le premier nommé présidait aussi le conseil d’administration de CarPostal Suisse SA, qui comptait un second administrateur interne. A partir de 2015, l’entité compte deux conseils d’administration.

La Poste Suisse SA est désormais structurée en holding et comprend trois sociétés distinctes: Poste CH SA, CarPostal Suisse SA et PostFinance SA. Au sein de la holding, il y a un conseil d’administration CarPostal SA, qui est présidé par la directrice générale Susanne Ruoff et dont deux hauts cadres sont membres. Et il y a un conseil d’administration CarPostal Suisse SA, toujours présidé – jusqu’à lundi dernier – par Daniel Landolf et composé de son chef des finances et d’une administratrice externe. Susanne Ruoff semble reconnaître que cette structure pose un problème de gouvernance: elle a évoqué mardi l’idée de doter CarPostal SA d’un «conseil d’administration autonome».

Et depuis 2015?

C’est cette réorganisation qui a motivé l’enquête ouverte par l’Office fédéral des transports (OFT), examen qui a éveillé des soupçons sur la licéité de la comptabilisation des coûts et des recettes du trafic voyageurs. Le Contrôle fédéral des finances (CDF) a de son côté décidé d’entrer en scène: il va examiner la gouvernance du groupe, les flux internes, les responsabilités des différents organes et dirigeants ainsi que les obligations de bénéfice.

Les dizaines de milliers de petits transferts illégaux d’excédents dans une autre rubrique que celle utilisée pour le calcul des indemnités versées par les collectivités publiques s’étendent sur la période 2007 à 2015, soit avant la réorganisation du groupe. Se sont-ils poursuivis ensuite? Le rapport de révision de l’OFT le laisse entendre: si l’on ajoute l’année 2016 aux précédentes, le bénéfice global dissimulé pourrait atteindre 107 millions. En raison du changement de structure et de modèle comptable au début de 2016, les investigations se poursuivent cependant pour clarifier ce point. «Il y a lieu de supposer que le nouveau modèle comptable a également entraîné l’allocation d’indemnités trop élevées entre 2016 et 2018», indique l’OFT.

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Comment le remboursement se fera-t-il?

Pour l’instant, c’est la somme de 78,3 millions que La Poste s’engage à redistribuer, à parts à peu près égales, aux cantons et à la Confédération. Neuchâtel et le Jura devraient recevoir en retour un peu plus d’un demi-million de francs chacun. Comment? Les modalités de remboursement doivent encore être précisées, indique l’OFT.