Il y a urgence à dégeler le dossier de l’accord institutionnel entre la Suisse et l’Union européenne dès lors que les élections fédérales appartiennent au passé. C’est ce qu’estime la Plateforme Suisse-Europe qui a déposé une pétition à l’intention du Conseil fédéral, qu’elle enjoint de signer ce document avant de le soumettre le plus rapidement possible au parlement pour ratification. Alors que la relation bilatérale reste dans l’impasse, Le Temps a interrogé le vice-président du laboratoire d’idées Foraus, Cenni Najy.

Le Temps: Que peut apporter cette pétition dans le contexte actuel?

Cenni Najy: A mon sens, c’est une démarche qui vise à faire prendre conscience que si la Suisse n’essaie pas de conclure cet accord maintenant, ce sera probablement plus dur à partir de 2020. En Suisse, nous oublions une chose: si le Brexit se concrétise le 31 janvier prochain, le Royaume-Uni s’engagera dans une nouvelle phase de négociations pour obtenir un résultat qui ressemblera un peu à notre voie bilatérale.

Etes-vous déçu du Conseil fédéral, qui n’a plus rien entrepris après avoir demandé des clarifications sur trois points de l’accord institutionnel en juin dernier?

C’était compréhensible dans le contexte de la campagne électorale et des oppositions que l’accord a suscitées dans certains milieux. Il lui était très difficile de prendre des initiatives. Cela ne veut pas dire que le dialogue soit rompu entre Bruxelles et Berne. L’UE n’a pas coupé les ponts: elle est prête à accorder des précisions au projet d’accord-cadre.

Que peut faire le Conseil fédéral: demander un protocole additionnel?

Il peut chercher à négocier une déclaration politique, voire demander à l’UE des changements mineurs dans le texte ou dans les protocoles du projet d’accord. Il y a là une petite marge de manœuvre, particulièrement sur la question de la portée de l’accord. Par exemple, les syndicats craignent que la Cour de justice de l’UE s’attaque aux commissions paritaires des CCT. Une déclaration politique annexée à l’accord pourrait sanctuariser les CCT sous leur forme actuelle. Mon sentiment est que l’UE reste disposée à dissiper certaines peurs qui existent encore en Suisse.

Le Royaume-Uni vient d’obtenir un nouveau délai pour sortir de l’UE. Quelles répercussions cela aura-t-il pour la Suisse?

En admettant que le premier ministre Boris Johnson gagne les élections anticipées et réussisse à faire ratifier son accord de sortie de l’UE, le Royaume-Uni devra encore régler un problème épineux: sa relation future avec Bruxelles. Pour ce faire, il prendra vraisemblablement la voie bilatérale comme référence, en tentant d’obtenir un statut assez semblable à celui dont la Suisse bénéficie avec sa voie bilatérale. Dès lors, l’UE pourrait être amenée à mener deux négociations parallèles, particulièrement sur des questions comme l’association entière aux programmes de recherche européens. Le danger est là.

C’est-à-dire?

Il y a deux écoles de pensée. Les uns, optimistes, pensent que la position de la Suisse sera renforcée parce que Londres constituera un allié. Personnellement, je pense au contraire qu’il sera un concurrent. Lorsqu’elle négociera avec la Suisse, l’UE aura toujours en tête la négociation parallèle avec le Royaume-Uni et le risque de précédent. Elle sera moins encline aux compromis et se montrera probablement plus intransigeante.

Les chercheurs suisses seront-ils de nouveau prétérités comme ce fut le cas en 2014 après l’approbation de l’initiative de l’UDC «Contre l’immigration de masse»?

Ce qu’on sait à l’heure actuelle, c’est que l’UE réfléchit à une refonte de son programme vis-à-vis des pays tiers. Parmi eux figurent la Suisse, Israël et peut-être bientôt le Royaume-Uni, soit trois pays avec des universités compétitives. Le risque existe que le statut de la Suisse soit moins bon que celui dont elle dispose aujourd’hui, soit celui d’un pays tiers pleinement associé. Il faudra voir quelles sont les conséquences financières qu’aura le nouveau statut.

Faut-il s’attendre à d’autres mesures de représailles de la part de l’UE si la Suisse tarde encore à signer l’accord institutionnel?

On sait que l’accord sur la recherche et celui sur les obstacles techniques au commerce sont dans le collimateur de l’UE. Toutefois, l’Union pourrait aussi privilégier la surprise. Lorsque la Suisse a été privée de l’équivalence boursière, elle était prévenue et a pu se préparer par un plan B qui lui a permis de limiter les dégâts. Il est possible que l’UE prenne désormais des contre-mesures totalement imprévues.