Il est 9h12 ce mardi matin à la gare de Chiasso, première station ferroviaire au Tessin après la frontière avec l’Italie. L’Intercity en provenance de Milan a quelques minutes de retard. Une dizaine de gardes-frontières en uniformes bleus papotent en suisse allemand sur le quai. Le train entre finalement en gare, les douaniers se divisent en deux groupes et se dirigent vers les extrémités du convoi. Leur mission: contrôler les passagers africains qui cherchent à entrer en Suisse sans documents valables.

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«Tous les trains venant de l’Italie sont perquisitionnés; certains essaient de se cacher sous les banquettes, mais c’est difficile d’échapper au contrôle des forces de l’ordre», explique le contrôleur, sorti prendre l’air sur la plate-forme. L’Intercity reprendra la route une fois qu’il aura été soigneusement inspecté et que les autorités douanières auront donné leur feu vert. «Cela peut prendre dix minutes, une demi-heure, voire une heure si quelqu’un refuse de sortir.»

Plainte d’usagers

Quelques usagers se sont plaints, non seulement des délais, mais de la présence de ces voyageurs inhabituels: «Ils ont peur des maladies», glisse l’employé des CFF qui ajoute que des migrants sont à bord de pratiquement tous les Intercity. Il en voit d’autres longer à pied la voie ferrée vers la Suisse. D’autres en revanche, selon Christophe Cerinotti, responsable de la criminalité transfrontalière, empruntent des sentiers de montagne à cheval entre la Suisse et l’Italie.

Fin juillet, cet officier de la police cantonale révélait au portail Ticino News que des personnes tentent leur chance via ces chemins autrefois battus par les contrebandiers. Il confirme par ailleurs que des passeurs autochtones, moyennant une certaine somme, s’offrent comme guide pour sillonner la montagne à pied ou comme chauffeur pour passer la frontière routière en voiture ou en fourgon.

Aujourd’hui, sur le train de 9h12, ils sont une cinquantaine à être progressivement évacués des wagons. Ceux qui ne sont pas assez rapides reçoivent une petite poussée désagréable dans le dos. Ils sont jeunes, très jeunes. Nombreux sont les adolescents et les femmes. L’une d’entre elle porte dans ses bras un enfant de deux ou trois ans. Malgré les circonstances, ils ont l’air détendus, bavardent entre eux, ont le sourire facile. La plupart ne transportent aucun bagage. Rien à perdre.

Rapidement rattrapés

Parqués dans un coin du quai, une vingtaine de migrants profitent d’un moment d’inattention des forces de sécurité pour filer vers les escaliers menant au hall. Ils sont rapidement rattrapés. Puis, sous le regard vigilant des policiers, ils sont guidés vers les locaux de la douane où ils disparaissent tous. «D’ici la fin de la journée, ils seront remis dans le train pour l’Italie, lâche un employé de la gare. Ici, c’est comme un port: il y a un va-et-vient constant.»

Au cours de la première semaine d’août, selon l’Administration fédérale des douanes, 1681 passagers africains sans papiers ont été arrêtés à Chiasso et 1275 d’entre eux ont été renvoyés de l’autre côté de la frontière. Pendant ce temps, le camp informel dans le parc devant la gare de Côme ne cesse de grossir. Lundi, ils étaient plus de 500 selon l’ONG tessinoise Firdaus, dirigée par la députée socialiste au Grand conseil tessinois, Lisa Bosia Mirra, qui tient le compte des arrivées.

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Depuis un mois, l’association prépare le déjeuner pour les Africains qui y squattent dans des conditions très précaires. Aujourd’hui, 100 kilos de salade de riz ont été cuisinés à la paroisse de Chiasso. Des socialistes tessinois, dont le conseiller d’État Manuele Bertoli, sont venus faire un tour pour sentir in vivo le drame en cours. Les chefs du parti et du groupe parlementaire sont arrivés avec une voiture chargée d’huile, de pâtes, de riz et de pommes pour les volontaires de Firdaus.

Véritable star de l’aide aux migrants à Côme, Lisa Bosia Mirra, qui n’hésite pas à stationner sa voiture au milieu du parc et à prendre le mégaphone pour leur expliquer leurs droits, dénonce la violation du droit humanitaire à la frontière suisse. «Nous avons ici au moins cent personnes qui veulent l’asile suisse et qui ont été refoulées sans pouvoir le demander; parmi eux de nombreux mineurs, des gens disposant d’un document de réfugié du HCR ou qui ont des parents en Suisse.»