Elue en juin présidente du conseil d’administration des CFF, Monika Ribar, 57 ans, entend faire payer à chaque usager le juste prix de ses trajets sur un réseau soutenu à hauteur de 3,38 milliards de francs l’an dernier par les pouvoirs publics.

Le Temps: Après quelques mois à la présidence des CFF, quel bilan tirez-vous de la marche de l’entreprise?

Monika Ribar: J’ai découvert l’envers du décor du trafic ferroviaire et suis impressionnée par la complexité d’un système qui aboutit à la circulation fluide des trains sur un réseau aussi dense que le nôtre. C’est une véritable prouesse réalisée chaque jour par l’entreprise et son personnel afin que tout fonctionne le plus parfaitement possible. Cela dit, il y a toujours des choses à améliorer et à développer.

- Par exemple?

- En trafic nord-sud nous devons améliorer encore les infrastructures d’accès au tunnel de base du Saint-Gothard, et en Suisse romande nous devons répondre à l’augmentation de la demande.

- Comment voyez-vous les CFF dans 5 ans?

- Cinq ans c’est du court terme pour nous: les travaux déjà planifiés ou en cours de réalisation. Mais nous devons nous préparer dès maintenant à assurer notre avenir en réduisant nos coûts partout où c’est possible. Nous réfléchissons aujourd’hui à l’évolution de la mobilité d’ici 10 ou 20 ans, sur le rail comme sur la route. Le développement des deux réseaux doit absolument être complémentaire et nous sommes en contact régulier à ce propos avec l’Office fédéral des transports. L’importance du réseau des CFF, avec plus de 3100 km de lignes exploitées, fait de l’entreprise un acteur incontournable de la chaîne de transport et de la mobilité du futur en Suisse.

- Vous siégez dans plusieurs conseils d’administration d’entreprises privées. Ne faudrait-il pas davantage de concurrence sur le rail pour augmenter la productivité et faire baisser les prix?

- Le système ferroviaire suisse est particulier. Il fonctionne sur la base d’une union des transports publics qui regroupe toutes les compagnies et qui permet au client d’avoir accès à l’entier du réseau avec un même titre de transport. Une certaine concurrence existe déjà sur quelques lignes régionales partagées par plusieurs compagnies. Générer davantage de concurrence sur le rail relève de l’impossible à cause de la faible taille du pays et de la surcharge de l’infrastructure. La principale concurrence du rail c’est la route. Et comme on anticipe une baisse des coûts du trafic routier, cela va obliger les CFF à réagir.

- De quelle manière?

- Notre objectif est de stabiliser les tarifs, et si possible de les baisser. Cela pourra se faire en optimisant nos coûts, en investissant de manière clairvoyante, et en misant sur l’innovation et la numérisation.

- Verra-t-on bientôt des portails de lecture de cartes à puce à l’entrée et à la sortie des trains pour pouvoir facturer de manière personnalisée les prestations de transport des CFF?

- L’avenir se situe dans un système de ce genre, car dans 20 ans les progrès de la numérisation permettront une offre de transport adaptée aux besoins de chacun. La technique de l’abonnement rouge SwissPass permet de nous donner des indications sur notre clientèle. Cet abonnement constitue une première étape dans la direction d’un système de transport individualisé qui peut regrouper de nombreux partenaires, y compris routiers, de cette nouvelle mobilité.

- Le préposé fédéral à la protection des données reproche justement aux CFF de ne pas avoir effacé suffisamment de données liées à SwissPass…

- Nous sommes prêts à respecter scrupuleusement les règles de protection des données, mais il faut aussi pouvoir répondre aux besoins des clients. Il s’agit également d’instaurer une égalité de traitement dans ce domaine. Une compagnie d’aviation dispose par exemple de données pour vous avertir en cas de retard ou d’annulation d’un vol. Les CFF, eux, ne peuvent pas avertir personnellement tous leurs clients de cette manière en cas de retard sur le réseau ferroviaire, même si de telles informations faciliteraient beaucoup la vie des usagers.

- Les abonnements généraux et demi-tarif vont-ils disparaître sous leur forme actuelle?

- L’idée, c’est de faire en sorte qu’à l’avenir tout le monde puisse bénéficier, selon ses besoins, des avantages de l’abonnement général (AG). L’AG, qui offre aujourd’hui un très gros rabais à l’usager régulier du réseau ferroviaire, existera encore, mais sous une nouvelle forme. Nous pourrons, à moyen terme, faire une offre et une facturation personnalisées des prestations de transport. Et il existera toujours des rabais pour les clients qui prennent très souvent le train.

- Les tarifs seront-ils différenciés selon les heures d’affluence?

- C’est déjà le cas maintenant, avec l’abonnement Voie 7 pour les jeunes ou des billets dégriffés hors des heures de grande affluence. Cette tendance va très certainement s’accroître et incitera peut-être les entreprises à flexibiliser les horaires de travail. Cela implique cependant un changement de société qui prendra du temps. Nous nous sommes déjà engagés dans cette voie aux CFF en donnant la possibilité aux collaborateurs de travailler de temps en temps à la maison ou dans un bureau décentralisé.

- A certaines heures, on voit des passagers assis sur les marches d’escalier des trains entre Lausanne et Genève ou entre Berne et Zurich. Est-ce la meilleure manière de traiter vos clients?

- C’est un peu la rançon du succès et j’admets que cette situation n’est pas bonne. En attendant que les entreprises flexibilisent leurs horaires et que les habitudes changent, nous n’avons pas pu commander des wagons à trois étages! Mais les nouvelles compositions à deux étages permettront d’augmenter la capacité jusqu’à 40%, et le programme Léman 2030 sur l’axe lémanique a pour but de doubler le nombre de places assises à l’horizon 2030. Cela passera parfois, sur les lignes régionales, par des aménagements qui feront ressembler le convoi davantage à un métro qu’à un train.

- La fumée passive des gens qui attendent le train sur le quai vous dérange-t-elle?

- Un peu, comme j’ai aussi été dérangée par la fumée lorsque j’ai assisté à la Fête fédérale de lutte le week-end dernier. Mais c’est un problème de société, pas vraiment celui des CFF, de savoir s’il faut encore restreindre les libertés individuelles. Le régime de propriété des gares et de leurs abords rend par ailleurs assez complexe la question du droit ou non d’étendre la zone non-fumeurs.

- CFF Cargo est en déficit. Le trafic marchandises combiné est confronté depuis des décennies à un problème de rentabilité qui semble insoluble. Que se passe-t-il?

- En vingt ans, la situation s’est très nettement améliorée dans un environnement concurrentiel fort. L’augmentation de la productivité et de la rentabilité de ce secteur d’affaires se heurte cependant à un problème structurel. En trafic combiné, par exemple, pour obtenir de fortes synergies, les CFF devraient bâtir un partenariat avec un gros transporteur routier. Ils ne peuvent pas le faire dans leur position de premier transporteur ferroviaire suisse et doivent donc travailler avec une multitude d’entreprises de transport routier, ce qui freine un processus de rationalisation. Le trafic combiné est entravé par l’absence, en Allemagne surtout, d’un corridor de quatre mètres de haut. Ces travaux prendront beaucoup de temps, mais le jour où ils seront réalisés, le rail, qui a l’avantage de la ponctualité, pourra encore mieux concurrencer la route. Pour le trafic des wagons isolés, nous comptons aussi sur des innovations techniques pour améliorer notre productivité.

- Pourquoi n’avez-vous pas quitté l’entreprise chimique Sika lors de l’éclatement du conflit entre une majorité du conseil d’administration et la famille propriétaire?

- Parce que je prends très à coeur mes responsabilités d’administratrice.

- Vous étiez à la tête de Panalpina lors de l’éclatement d’une grave affaire de corruption qui a obligé ce groupe de logistique à fermer trois filiales dans le monde. Cette expérience vous sert-elle aujourd’hui aux CFF?

- Dans chaque situation difficile, vous acquérez de l’expérience qui peut être utile plus tard. L’une des premières choses que j’ai faite en arrivant aux CFF ce fut de vérifier les systèmes de contrôle et de détection de telles pratiques. Je peux vous dire que je dors paisiblement à ce sujet.