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Champagne contre Champagne, le jugement français qui fait mal

Le jugement parisien n'empêche la vente des flûtes de la maison Cornu qu'en France.

Le village de Champagne, dans le Nord vaudois, le vit comme une injustice béante. Et a fait connaître son sentiment avec force publicité, allant jusqu'à organiser devant les photographes l'arrachage par un engin du panneau indicateur à l'entrée de la commune. Mais le pouvoir de l'image, en l'occurrence, est faible face à l'adversaire. C'est que l'autre Champagne, celui du vin mousseux, vient d'infliger à la petite commune vaudoise une nouvelle et humiliante défaite.

Nouvelle défaite

Le puissant Comité interprofessionnel du vin de Champagne (CIVC) a obtenu de la justice française, la semaine dernière, que la maison Cornu ne puisse plus commercialiser en France ses «flûtes de Champagne» bien connues des consommateurs vaudois. Le site internet champagne.ch a également été interdit.

L'entreprise vaudoise est décidée à faire appel d'une décision qu'elle a d'autant plus de mal à admettre qu'il y a quelques années, Champagne avait déjà dû baster une première fois devant le CIVC. Dans les négociations bilatérales avec l'UE, le Conseil fédéral avait lâché face à la France, forçant les vignerons du village vaudois à renoncer à l'appellation Champagne pour le vin produit sur les terres communales.

Cependant, Champagne et les responsables de l'entreprise familiale Cornu, tout à leur colère, ont peut-être un peu forcé le trait en suggérant que cette dernière se voyait désormais interdire l'utilisation du nom de la petite commune sur la totalité de sa production.

Effet limité

Ce n'est pas le cas. A Paris, Me Luc Brossollet est formel. L'avocat de la société française Cornu, qui commercialise en France les «flûtes de Champagne», explique que le jugement parisien n'empêche nullement la société suisse d'apposer la mention «de Champagne» sur ses produits et de les commercialiser dans le monde entier - partout sauf en France. «Le jugement n'a d'effet que pour le territoire français.» Un jugement qu'il estime néanmoins infondé, et contre lequel il va faire appel.

Le Tribunal de grande instance de la capitale, explique Me Brossollet, s'est fondé sur l'accord de 1974 entre la Suisse et la France relatif à la protection des indications de provenance et des appellations d'origine. Les deux Etats se sont engagés par ce traité à faire respecter réciproquement sur leur territoire les dénominations protégées dans l'autre Etat.

Quel risque de confusion?

L'accord franco-suisse comporte toutefois une exception en faveur des dénominations utilisant un nom géographique connu dans chacun des deux Etats. Les juges parisiens ont cependant refusé de faire jouer cette exception en estimant que les «flûtes de Champagne» produites par la maison Cornu créaient un risque de confusion avec le célèbre vin français. «Le Traité ne comporte pas de clause permettant d'opposer le risque de confusion dans ce cas précis, note Me Brossollet. A supposer même qu'on puisse le faire, nous soutenons que le consommateur ne peut pas être induit en erreur sur la provenance des flûtes de Champagne.»

Champagne d'Yves Saint Laurent

En France, la protection juridique du Champagne a été considérablement renforcée au fil du temps. Aujourd'hui, l'utilisation de l'appellation n'est pas seulement prohibée pour des boissons alcoolisées, mais aussi pour des produits n'ayant aucun lien avec l'univers du vin. C'est ainsi que la justice française a interdit le parfum «Champagne» d'Yves Saint Laurent en 1993.

Mais le sort frappe aussi des communes champenoises. La liste de celles qui composent l'appellation d'origine Champagne est en révision. Le Monde relatait vendredi le cas de la commune d'Orbais-l'Abbaye, déclassée. Le maire, peu porté sur la vigne, assure que le champagne «rapporte zéro», mais l'un des propriétaires confie au quotidien: «Si c'est déclassé, je suis ruiné.»