L'information a d'abord circulé sur les réseaux sociaux, amplifiée par des médias chargés de diffuser le soft power russe comme Sputnik ou RT, Russia Today: ce vendredi, des chasseurs suisses McDonnell Douglas F/A-18 Hornet dotés de missiles ont accompagné dans le ciel suisse un avion russe qui transportait des journalistes russes à destination de Lima au Pérou, où doit se tenir un sommet de l'APEC. Cette escorte a duré quelques minutes et au moins un des avions suisses s'est positionné très près de l'avion russe, au point que les journalistes dans l'appareil étaient en mesure de lire le numéro d'identification de l'appareil, J-5024, et de voir le visage du pilote, précise Sputnik. Une vidéo circulait ce samedi matin, tournée de l'avion russe par un des journalistes de la «piscine», le nom qu'on donne aux journalistes qui suivent le Kremlin.

«Du jamais vu. Nous allons au Pérou pour assister au sommet de l'APEC et devons faire une escale de ravitaillement à Lisbonne. Quand nous passons par la Suisse, trois chasseurs bloquent l'avion transportant la délégation et les journalistes. Deux chasseurs se tiennent près des ailes de notre avion et le troisième se trouve sous notre appareil. Ce sont des chasseurs de l'Armée de l'air suisse. On voit bien les drapeaux sur les empennages arrière et les missiles sous les ailes », a écrit sur Facebook Andreï Kolesnikov, rédacteur en chef des magazines russes Kommersant et Rousski Pioner, cité par Sputnik.

L'affaire a été confirmée officiellement par l'ambassade russe en Suisse qui a twitté sa «surprise» ce samedi en exigeant des explications.

L'avion appartenait à la flotte du Kremlin et transportait outre les journalistes quelques membres de la délégation russe officielle. «Les avions suisses avec leur croix blanche ressemblaient à des jouets dans le ciel« écrit ainsi Rossiyskaya Gazeta. L'incident a l'air d'une plaisanterie pour l'agence de presse ukrainienne Unian, qui parle d'une procédure standard, rapporte qu'un des pilotes a fait un petit signe aux Russes qui étaient «amusés» et qu'il y avait deux avions. Alors qu'il y en avait trois pour le rédacteur en chef de Kommersant, qui s'inquiète: jamais un avion militaire étranger ne s'était approché si près d'un avion civil de transport de passagers, semble-t-il.

Cet incident pourrait d'ailleurs être le premier à impliquer un avion civil. Mais les interceptions d'appareils militaires russes se sont multipliées ces derniers mois. Un incident concerne la Suisse: il y a un an, le 19 octobre 2015, Moscou avait demandé des excuses officielles à la France pour un chasseur ayant approché de trop près un de ses avions militaires dans le ciel français, non loin de la frontière suisse; il s'était finalement avéré que le chasseur était suisse, et que l'interception s'était faite au-dessus de Bienne, en territoire suisse. Moscou avait ensuite présenté ses excuses. L'information avait d'abord circulé sur Sputnik.

L'incident intervient alors que la tension est grande entre Alliance atlantique et Russie, et les piques envoyées par les Russes pour tester la résistance occidentale se sont multipliées. Sputnik suggère de son côté que la grandissante propagande anti-Russie provoque la mise en place de nouvelles mesures de sécurité dans plusieurs pays.

«Rien de spécial» pour l'armée suisse

Toute autre est pourtant l'explication de l'armée, contactée par Le Temps, et qui se veut très rassurante. «On effectue 400 contrôles similaires par an, précise le porte-parole Daniel Reist, ces contrôles visent les aéronefs d'Etat qui bénéficient de «clearance», d'autorisations de passage, pour lesquelles nous connaissons à l'avance l'immatriculation, l'itinéraire et les horaires, et c'est cette immatriculation que la police de l'air et de frontières vérifie. Ces contrôles visent des appareils d'Etat que nous choisissons d'une manière indiscriminée, ce peut être des avions allemands, italiens... C'est tout simple». C'est parce que l'appareil faisait partie de la flotte du Kremlin qu'il a été contrôlé. Il semble que cela soit la 2e fois en deux, trois ans que la Russie proteste officiellement contre une opération de police «tout à fait ordinaire» et prévue parmi les procédures habituelles de l'Organisation de l'aviation civile internationale. Que l'incident ait été monté en épingle sur les réseaux sociaux et montré à la télévision russe en dit probablement long sur une certaine paranoïa russe, ou sur une victimisation ostentatoire. Comme si Moscou jouait à la Guerre froide.

La Défense suisse a récemment simulé une attaque de deux chasseurs F/A Hornet sur un avion tchèque (prévenu) pour s'exercer, a rapporté la presse tchèque. En 2014, le détournement d'un Boeing d'Ethiopian Airlines sur Genève avait provoqué la risée générale, en mettant en évidence les rythmes de travail des pilotes de chasseurs suisses: les heures de bureau. Presque de l'histoire ancienne: l'armée doit passer en 2020 à la surveillance 24 heures sur 24 avec des avions prêts en tout temps.