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Chemins de fer: le potentiel peu exploité des liaisons transfrontalières

Selon le Conseil fédéral, l’avenir du rail se concentre dans les agglomérations. Sur ce terrain, les zones transfrontalières encore largement dominées par la voiture bénéficient d’un important potentiel

Un train CFF Léman Express photographié avant la conference de presse sur le changement d'horaires 2021 des CFF. — © Laurent Gillieron/Keystone
Un train CFF Léman Express photographié avant la conference de presse sur le changement d'horaires 2021 des CFF. — © Laurent Gillieron/Keystone

En juin dernier, la Confédération surprenait son monde en présentant le programme Rail 2050. Ce document, censé poser les jalons des futurs possibles développements d’infrastructures et d’investissements pour le rail, laisse de côté l’attention portée aux grandes lignes pour faire la part belle au trafic d’agglomération et aux trajets de courtes et moyennes distances.

Sous l’adage «rapprocher les Suisses», ce changement de cap fondamental dans la vision du Conseil fédéral vise aussi à atteindre les objectifs climatiques de la Confédération. L’enjeu du report de trafic d’agglomération de la route au rail est également à chercher dans les régions transfrontalières, selon une étude menée par le bureau spécialisé en mobilité 6t pour le compte de l’Office fédéral des transports (OFT).

Un quart des flux transfrontaliers concernés par le train

Car c’est au passage des frontières que la voiture est encore largement utilisée, notamment par les pendulaires, à cause d’une carence en offre de mobilité durable. «Le réseau ferroviaire national est déjà très bien maillé, alors que certains bassins urbains transfrontaliers, comme la région lémanique ou l’extrême est avec la frontière autrichienne, concentrent une demande et un potentiel dédiés au rail encore très forts, note Sébastien Munafò, directeur de la filiale Suisse du bureau 6t et coauteur de l’étude. Une part importante des déplacements pourrait être captée par le train, là où les lignes de bus régionaux sont peu efficientes par rapport à la route, tant en termes de temps de parcours que de confort.»

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Sur l’ensemble du pourtour helvétique, près de 192 000 déplacements quotidiens pourraient être touchés par une amélioration de l’offre ferroviaire, soit plus de 25% de tous les flux transfrontaliers. Ce sont dans les régions de Bâle et de l’Arc lémanique que les volumes de reports possibles de la route au rail sont les plus conséquents, avec respectivement 18 200 et 16 900 déplacements quotidiens, tandis que l’Arc jurassien affiche des potentiels s’élevant à environ 3600 trajets par jour, selon les résultats de l’étude menée par le bureau 6t. Augmenter la compétitivité et la fréquentation des transports publics des régions frontalières passe par la création de lignes ferroviaires pénétrantes. Ainsi, dans la région de Saint-Gall, près d’une dizaine de liaisons avec l’Autriche et le Liechtenstein sont aujourd’hui desservies par des bus, avec des temps de parcours souvent deux fois plus élevés que la voiture, émettant 14 fois plus de CO2 par kilomètre que le train.

Des projets longs et complexes

Mais pour rapprocher les pendulaires de leur poste de travail ou les familles de leurs lieux de loisir, ces réseaux transfrontaliers nécessitent bien souvent davantage de ressources en termes de temps et d’investissements politiques. Les Genevois en côtoient l’exemple criant avec le projet du Léman Express, inauguré cent-vingt ans après la signature de la première convention franco-suisse pour la réalisation d’une liaison entre Annemasse et Genève.

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«Avec les réseaux transfrontaliers mis en place à Genève, à Bâle et au Tessin, les bases de dialogues entre autorités sont aujourd’hui là. Il faut maintenant donner un second élan à ces projets et on sent parfois les autorités timides, alors que ces infrastructures rencontrent un large succès», témoigne Sébastien Munafò, en prenant exemple sur la liaison ferroviaire entre Annecy et Genève, qui n’est toujours pas compétitive face à la voiture. «Il y a encore certains réflexes de planification routière, on peut ainsi penser au projet d’autoroute entre Machilly et Thonon-les-Bains, côté français, alors qu’une ligne de chemin de fer suit déjà ce tracé.»

300 millions de la Confédération

Pour le Jura, qui concentre 32 000 frontaliers, la priorité est d’établir une cadence ferroviaire de trente minutes entre Delémont et Belfort, dont l’agglomération avec Montbéliard totalise un bassin de 300 000 habitants. «Le canton a besoin de la main-d’œuvre frontalière, qui représente plus de 25% des emplois», explique le ministre jurassien à la tête des Transports, David Eray. Les conditions-cadres de développement sont toutefois bien différentes de part et d’autre de la frontière, et la politique de renforcement du rail beaucoup plus modeste en France qu’en Suisse. «Nous savons ce qu’il faut faire, mais nous dépendons des autorités et des décisions du côté français», note à ce stade le conseiller d’Etat.

La Suisse n’hésite cependant pas à mettre la main au porte-monnaie pour faciliter les flux transfrontaliers. Elle a cofinancé plusieurs aménagements d’infrastructures en France et en Italie ces dernières décennies, notamment pour la construction de la ligne à grande vitesse Rhin-Rhône, dans laquelle Berne a injecté 100 millions de francs pour permettre d’accélérer le voyage entre Bâle et Paris. Adopté en 2019, le dernier programme du parlement prévoit 300 millions de francs pour des mesures visant à améliorer l’offre transfrontalière, par exemple entre Bâle et l’aéroport de Bâle-Mulhouse.