Une Suisse coupée en deux. On le craignait, cela s’est confirmé dimanche. La Suisse latine, à laquelle s’ajoute Bâle-Ville, a très nettement rejeté la révision de la loi sur l’assurance chômage, qui a cependant trouvé une majorité de 53,4% dans l’ensemble du pays. Ce n’est pas une réelle surprise, dans la mesure où c’est en Suisse romande que le taux de chômage est le plus élevé, et dans la mesure où, de surcroît, les Romands se montrent généralement beaucoup plus défensifs que les Alémaniques lorsqu’il s’agit de réformer et d’assainir les assurances sociales. Ce Röstigraben est le plus net depuis le 26 septembre 2004 (initiative postale, congé maternité et naturalisation facilitée des jeunes étrangers). Pour le président du PS, Christian Levrat, ce résultat est «une défaite de la cohésion nationale».

C’est dans le Jura (76%) que le rejet est le plus net. Neuchâtel (67,8%) vient juste derrière. Cela s’explique par une mesure particulière: avec la nouvelle loi, ces régions ne pourront plus profiter de la prolongation de la durée d’indemnisation (520 jours au lieu de 400) en cas de chômage persévérant. Tous les cantons alémaniques à l’exception de Bâle-Ville ont approuvé la réforme, le oui le plus net provenant d’Appenzell Rhodes-Intérieures (72,6%).

Ces cantons ont jugé la réforme équilibrée. Celle-ci prévoit d’alléger l’assurance chômage, dont la dette dépasse désormais 7 milliards, de près de 1,3 milliard par an. Près de la moitié (622 millions) provient d’économies. En règle générale, la durée d’indemnisation sera liée à la durée de cotisation et des délais d’attente plus longs seront imposés. Les jeunes qui n’ont pas versé de cotisations ou n’ont pas de charges de famille seront particulièrement touchés par ces nouvelles restrictions.

L’autre moitié (646 millions) vient de la hausse des cotisations de 2 à 2,2% et de la réintroduction d’un pour-cent de solidarité prélevé temporairement au-dessus du salaire maximal assuré (part de salaire entre 126 000 et 315 000 francs). Cette double adaptation corrige la baisse décidée en 2002 (lire en page 3), qui, rétroactivement, a été considérée comme une erreur, car la dette n’a cessé de s’accroître depuis lors.

Les cotisations augmenteront le 1er janvier 2011. Le Conseil fédéral l’a déjà décidé. Et les mesures d’économies, quand entreront-elles en vigueur? «Comme la situation économique est assez bonne, ce sera le plus rapidement possible», lâche laconiquement la présidente de la Confédération et ministre de l’Economie, Doris Leuthard. La gauche plaide pour que l’activation de ces mesures soit retardée à 2012, mais les milieux économiques militent pour que ce soit en même temps que les nouvelles cotisations. Comme il ne siège pas la semaine prochaine, le Conseil fédéral devrait trancher vendredi. «Ce sera en tout cas pour le premier semestre 2011», assure Doris Leuthard, sans préciser pour l’instant si ce sera le 1er janvier ou un peu plus tard.

Une majorité de Suisses ont ainsi opté pour une solution qui repose à la fois sur des économies et sur des recettes supplémentaires. Il faut relever au passage que cette majorité ne s’appuie que sur 35,5% de votants, un taux de participation très bas. Mais cette majorité a préféré la révision proposée à la solution de rechange sur laquelle le Conseil fédéral se serait rabattu en cas de non: une hausse des cotisations de 0,5 point. Pourquoi? Parce que la loi actuelle l’oblige à relever les prélèvements salariaux dès que la dette dépasse un certain seuil, un seuil qui a été atteint le printemps dernier.

Cela dit, la question centrale est de savoir quelles traces le «Röstigraben» qui s’est creusé dimanche laissera. Christian Levrat se dit convaincu qu’elles seront marquées et durables. Doris Leuthard dit s’en «préoccuper». «Je prends ce Röstigraben au sérieux. L’équilibre entre les cantons de force économique différente est important», souligne-t-elle en rappelant que quelques instruments peuvent être utilisés par ces régions (lire ci-contre).

Doris Leuthard se réjouit cependant du oui national à cette révision «équilibrée». «Cela montre que la population souhaite une assurance chômage financièrement saine et qu’elle veut renforcer la solidarité en prélevant un pour-cent de cotisation auprès de ceux qui ne peuvent espérer profiter davantage de cette assurance», commente-t-elle.

Le résultat de dimanche est une défaite pour la gauche, qui espérait faire coup double après le succès de ce printemps contre la baisse du taux de conversion du deuxième pilier. Elle n’y est pas parvenue, notamment parce qu’elle n’a pu profiter du contexte très flou dans lequel s’est déroulé le vote sur le deuxième pilier.

Le Parti socialiste espère cependant rebondir en combattant la onzième révision de l’AVS, qui passe en vote final parlementaire ce vendredi. Mais l’UDC menace de la torpiller ce jour-là et priver ainsi la gauche d’une arme électorale. A ce propos, Doris Leuthard s’est dite «inquiète» et a souligné dimanche que cette réforme sociale était elle aussi «nécessaire et équilibrée».