Christian Levrat: «La guerre commerciale de Donald Trump a de quoi inquiéter la Suisse»
Etats-Unis
En visite aux Etats-Unis, le conseiller aux Etats prend la température auprès de membres du Sénat. Il est frappé par l’état d’impréparation de l’administration Trump

Christian Levrat goûte à la politique de Donald Trump de près. Depuis lundi, le président du parti socialiste est aux Etats-Unis avec sa casquette de président de la Commission de politique extérieure du Conseil des Etats. Il était déjà aux Etats-Unis le jour de l’élection de Donald Trump: il officiait comme observateur pour le compte de l’OSCE dans le Montana. Christian Levrat n’est pas le seul à venir prendre le pouls de l’Amérique de Donald Trump. Les visites suisses vont se multiplier. En avril, Ueli Maurer et Johann Schneider-Amman seront les premiers conseillers fédéraux à se déplacer aux Etats-Unis sous la nouvelle présidence, dans le cadre de la réunion annuelle du FMI et de la Banque mondiale à Washington. C’est en avril également que la conseillère nationale Christa Markwalder (PLR/BE) emmènera une délégation du groupe parlementaire Suisse-Etats-Unis qu’elle préside.
Qu’êtes-vous venu faire aux Etats-Unis? Soigner vos contacts avec les parlementaires américains pour mieux cerner l’administration Trump?
Christian Levrat: J’étais d’abord à New York, avec mon collègue Andrea Caroni (PLR/AR), dans le cadre de l’Union interparlementaire. J’ai rencontré les Suisses qui travaillent à l’ONU, et j’en ai profité pour mener des discussions sur le Conseil de sécurité, en vue d’une éventuelle candidature de la Suisse, ainsi que sur le régime des sanctions, qui pour nous doit être en adéquation avec les garanties juridiques offertes par la Cour européenne des droits de l’homme. Mais, oui, je suis depuis mercredi à Washington, où je multiplie les contacts dans le but de tenter de comprendre ce qui se passe dans l’administration Trump, de mieux cerner les projets en cours. Sur le plan fiscal et commercial, surtout. Mais un autre point important est le positionnement des Etats-Unis par rapport à la Russie. Je fais partie de ceux qui saluent la désescalade entre les deux puissances, mais en même temps je suis aussi un peu inquiet pour la stabilité en Europe. Les propos tenus ce mercredi par le chef du Pentagone James Mattis sur l’OTAN sont en ce sens plutôt rassurants.
- L’ambassade de Suisse à Washington organise ce jeudi une rencontre au Congrès pour insister sur l’ampleur des investissements suisses aux Etats-Unis. Vous faites partie de cette «opération de séduction»?
- Pas vraiment, mais je vais y participer. Je mène en fait des entretiens bilatéraux de mon côté. Je vais rencontrer trois sénateurs et plusieurs représentants, démocrates et républicains. Je suis surtout là pour écouter et essayer de comprendre dans quelle direction vont les Etats-Unis. Mais je rappellerai bien sûr l’importance des investissements suisses, et les 460 000 emplois que nous fournissons. La Suisse est le septième investisseur étranger aux Etats-Unis.
- Justement: craignez-vous de lourdes conséquences de la politique protectionniste de Donald Trump sur la Suisse? Les Républicains planifient une réforme fiscale radicale, qui pourrait sévèrement taxer les importations. Et Washington accuse un déficit commercial avec la Suisse qui atteint les 17 milliards de francs…
- Si des taxes de 15 à 20% sont introduites sur les importations, il faut s’attendre à ce que l’UE et la Chine réagissent de la même manière; la situation deviendrait forcément très délicate pour la Suisse. Bien sûr, la Suisse n’est pas directement visée. Mais si l’administration Trump déclenchait cette guerre commerciale, nous serions particulièrement touchés. J’ai récemment participé à des réunions dans le cadre de l’OCDE et je peux vous dire que cette révolution fiscale inquiète beaucoup.
- Le «Swiss made» aura-t-il encore du poids dans un contexte «America first»?
- Nous insistons sur la qualité de nos produits. Mais introduire aux Etats-Unis une taxe sur le cash-flow, qui favoriserait les exportations américaines et pénaliserait les importations, reviendrait à faire exploser le système commercial mondial. Je comprends que Donald Trump insiste sur la relance des emplois. Mais je suis étonné que mes interlocuteurs ne mettent pas en avant les coûts d’une telle révolution fiscale. Car finalement, c’est bien le consommateur américain qui sera le plus pénalisé: il devra payer les produits importés beaucoup plus cher.
- En quelques semaines, Donald Trump a déclaré qu’il allait construire un mur avec le Mexique, qu’il voulait bannir des ressortissants de pays musulmans ou encore qu’il allait retirer les Etats-Unis du Traité de libre-échange transpacifique. Êtes-vous préoccupé par la tournure que prend la présidence Trump?
- Oui. Un sentiment d’impréparation domine. Cet activisme, parfois purement rhétorique, ne se concrétise pas toujours. La justice, on l’a vu avec le décret anti-immigration désormais suspendu, parvient heureusement à le freiner et les institutions américaines sont suffisamment solides pour faire barrage quand c’est nécessaire. Les médias sont aussi décidés à officier comme contre-pouvoir. Mais en politique internationale, les mots prononcés par le président américain pèsent. Son «muslim ban» – l’interdiction aux ressortissants de sept pays à majorité musulmane de fouler le sol américain, ndlr – est inquiétant. Je ne suis pas loin de penser que de telles mesures peuvent faire le lit de groupements terroristes comme l’Etat islamique.
- Et que vous inspire la «méthode Trump»? C’est un président impulsif, qui exprime ses coups de colère par tweets, dénigre la justice quand elle rend des décisions qui ne vont pas dans son sens, accuse les médias de fabriquer de fausses nouvelles. Comment négocier avec quelqu’un d’aussi imprévisible?
- C’est en effet assez particulier de voir un président des Etats-Unis s’en prendre aussi violemment à des juges via Twitter. Comme négocier avec lui? Le premier ministre canadien Justin Trudeau a trouvé le bon ton: tenir calmement sa ligne en défendant ses valeurs, sans tomber dans la mise en scène et la provocation du président américain.
- Vous voulez maintenir un dialogue «constructif et critique» avec Washington. «Ce qui implique aussi de poser des questions désagréables», avez-vous dit. Lesquelles?
- Oser aborder l’état d’impréparation de l’administration Trump ou le fait que Donald Trump semble avoir un agenda personnel; évoquer les conséquences de la guerre commerciale, ou la nature des liens avec Moscou. Je suis beaucoup plus inquiet maintenant qu’au lendemain de l’élection de Donald Trump. Le Congrès va jouer un rôle très important. La Suisse a intérêt à suivre la situation de près.