polémique
En attaquant vivement le ministre des Affaires étrangères, le président du PDC joue sur la fibre populiste de son public et renforce le virage à droite du PDC en politique européenne
Coup de chaleur, stratégie électoraliste? La violente attaque du président du PDC, Christophe Darbellay, contre le ministre des Affaires étrangères, Didier Burkhalter, mercredi soir à Saas-Balen, dans le Haut-Valais, a sorti le petit monde politique suisse de la torpeur de ses vacances estivales.
Car une attaque directe et personnelle de la part d’un président de parti gouvernemental contre un conseiller fédéral est un fait très rare. D’autant plus que les deux intéressés, Christophe Darbellay et Didier Burkhalter, sont deux élus de partis du centre droit, PDC et PLR, contraints à collaborer.
«Irresponsable et populiste», juge Carlo Sommaruga (PS/GE), vice-président de la Commission de politique étrangère du Conseil national. «Pour le président du PDC, cela devient de la monomanie, il faut à tout prix taper sur le Parti libéral-radical et ses représentants», juge Fathi Derder (PLR/VD).
Dans son discours, prononcé en allemand, le président du PDC n’y est pas allé avec le dos de la cuillère. «Ce qui me donne le plus de souci, c’est notre ministre des Affaires étrangères. Au lieu de défendre clairement et fermement nos intérêts, il est devenu le ministre de l’abandon. Le dernier acte, dans ce théâtre de la retraite, c’est l’assurance donnée à l’UE que l’on va se plier devant les juges étrangers. Les juges étrangers, c’est justement ce qui a suscité la révolte des Suisses il y a 700 ans.»
A défaut de pouvoir joindre Christophe Darbellay, en vacances, on peut avancer deux types de raisons à l’attaque contre Didier Burkhalter.
D’abord, un fort ressentiment personnel à l’égard du conseiller fédéral libéral-radical, qui remonte à 2009, lors de l’élection du Neuchâtelois au Conseil fédéral contre la candidature du PDC Urs Schwaller. L’incapacité du PDC à reconquérir son second siège au gouvernement, alors que beaucoup jugeaient la candidature de Schwaller bien supérieure, n’a jamais été digérée.
De plus, Christophe Darbellay, qui en novembre dernier proposait dans une tribune pour Le Temps de revenir sur le vote d’adhésion à l’Espace économique européen (EEE), a pris comme un affront personnel les propos tenus aussitôt devant la presse par Didier Burkhalter. «L’EEE nous poserait des problèmes, avait sèchement rétorqué Didier Burkhalter. La voie bilatérale est la seule praticable, elle correspond à ce que l’on peut et ce que l’on veut faire en Suisse.»
Depuis, le président du PDC rate rarement une occasion de taper sur le PLR, constate Fathi Derder. Selon l’élu vaudois, «c’est problématique, car comment allons-nous aborder des échéances capitales, comme l’initiative 1:12 sur l’écart maximum entre les salaires, si nous ne dépassons pas les réactions épidermiques?»
Il y a aussi et surtout des raisons politiques. Dans un centre émietté, la compétition se fait toujours plus dure entre PDC et PLR autour du deuxième siège au Conseil fédéral. Il faut fédérer autour de soi non seulement les petits partis, PBD, vert’libéraux, mais aussi gagner de nouveaux électeurs en frappant les esprits. C’est l’option de Christophe Darbellay, qui doit aussi préparer son avenir politique en Valais.
«Certes, dans un discours du 1er Août, on est un peu enclin à en faire un peu plus sur le mode patriotique. Mais il y a nettement au PDC un agenda politique en vue des élections de 2015», note Jacques Neirynck (PDC/VD), en rappelant le durcissement de ton de son parti avant la votation sur la révision de la loi sur l’asile. Dans des cantons où le PDC est menacé par l’avancée de l’UDC, notamment en Suisse centrale, il y a une tendance très forte, incarnée par le Zougois Gerhard Pfister, de se placer sur le même terrain que l’UDC. Les élus romands se sentent toujours plus marginalisés face à ce courant, note le conseiller national.
Pour Carlo Sommaruga, «le discours de Christophe Darbellay est non seulement populiste – il dit ce qu’une partie de l’opinion gagnée par l’idéologie de l’UDC attend – mais il est surtout dangereux. Il renforce le camp de ceux qui veulent dire «non à tout». De ceux qui, comme Christoph Blocher, refusent toute extension des relations bilatérales avec l’UE et toute solution institutionnelle.» Or, le Conseil fédéral devrait décider à la rentrée du mandat de négociation avec Bruxelles, où figurera le rôle de dernière instance que pourrait jouer la Cour de justice européenne.
Les propos de Christophe Darbellay ont le mérite de révéler l’absence de stratégie des partis gouvernementaux s’agissant de nos relations avec l’UE, note Jacques Neirynck. Et le peu de volonté d’aller contre une opinion publique gagnée par la tentation du repli et de la résistance face à tout ce qui vient de l’étranger. «Nous nous engageons dans une impasse», craint Carlo Sommaruga.
«Ce discours est populiste et irresponsable. Il renforce ceux qui veulent dire non à tout»