Cinq grands témoins pour un dimanche politique de feu
Votations/Élections
L’UDC Oskar Freysinger, le socialiste Manuel Tornare, la Verte Nicole Baur, la PLR Florence Gross et le centriste Dominique de Buman vont suivre de près, pour «Le Temps», ces votations fédérales et ces élections. Ils détaillent leurs attentes pour ce dimanche

Pour commenter les multiples votations et élections du jour, Le Temps a convié cinq grands témoins. Hommes, femmes, politiciens retraités ou en devenir, ils représentent les cinq grands partis et tous jettent un regard incisif sur la politique. Après avoir fait part de leurs pronostics et de leurs espoirs pour ce dimanche politiquement chaud, on les retrouvera tout au long de la journée sur Letemps.ch, puis dans le journal de lundi.
Nicole Baur
«Les élections en Suisse romande devraient confirmer l’ancrage et la progression des Vert-e-s. Je m’attends à ce que le parti se renforce tant au niveau des communes fribourgeoises – avec, j’espère, l’entrée d’une Verte à l’exécutif de la ville de Fribourg – qu’au Grand Conseil valaisan et à Genève, où il récupérerait son 2e siège au Conseil d’Etat.
En Valais, je m’attends à ce que Mathias Reynard reprenne le siège socialiste, démontrant une fois encore la difficulté pour les femmes de faire leur place en politique, même si M. Reynard est indéniablement un allié féministe.
La progression des Vert-e-s dans les villes vaudoises devrait également se confirmer, avec peut-être une distribution à gauche un peu différente: je verrais bien les Vert-e-s obtenir un 3e siège à la municipalité de Lausanne et jouer, comme à Neuchâtel, à parts égales avec le PS. Et j’observerai avec intérêt la progression du PVL.
Sur le plan fédéral, je crains une victoire de l’initiative pour l’interdiction de se dissimuler le visage. Ce que je considère comme une fausse bonne idée est en effet parvenue à fédérer dans des milieux très divers, ce qui fera sans doute une majorité. Mais mon canton devrait dire non, accompagné, comme souvent pour ces questions, par les cantons de Vaud, du Jura, peut-être de Genève et de Bâle-Ville. Je pense également que l’accord de partenariat avec l’Indonésie passera la rampe, malheureusement. Mais l’identification électronique devrait être refusée.»
Nicole Baur a été élue le 25 octobre au Conseil communal (exécutif) de Neuchâtel. Une nouvelle vie pour cette ancienne journaliste qui a par le passé présidé les Verts vaudois et a été longtemps «Madame Egalité» du canton de Neuchâtel. Elle espère que les élections de ce dimanche confirmeront l’ancrage et la progression des Verts en Suisse romande.
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Dominique de Buman
«L’initiative sur l’interdiction du port de la burka devrait l’emporter dimanche. En effet, l’addition de motifs féministes et de sentiments islamophobes devrait aboutir à une majorité de voix dans les urnes. Par ailleurs, un thème identitaire recueillerait une majorité favorable des cantons.
L’identité numérique apporterait de nombreux avantages au quotidien des gens. Le nombre de codes et de mots de passe différents devient de plus en plus rébarbatif, et une simplification s’impose. Le projet risque cependant d’échouer devant le peuple en raison de la décision du parlement de ne pas lui garder son caractère de tâche régalienne. Ce coup de force pourrait être sanctionné dans un contexte similaire à l’échec de la réforme de la fiscalité des entreprises II. La Poste serait prête alors à relever le défi assez rapidement.
L’accord de libre-échange avec l’Indonésie buttera-t-il sur l’épine de l’huile de palme, même dans un concept de développement un peu plus durable? Que l’Union suisse des paysans – qui estime avoir vu ses revendications protectionnistes satisfaites – ait rejoint le camp des autres organisations économiques devrait permettre à cet objet de passer le cap populaire.
Les élections dans divers cantons romands ne pourront vraiment être considérées comme un baromètre fiable, tant les réalités locales sont différentes et la gestion quotidienne échappe aux cloisonnements politiques partisans. Il sera par contre intéressant d’observer la cote de popularité des élus sortants. Le changement de nom du PDC est trop récent pour en faire un paramètre objectif dans l’examen des résultats.»
Dominique de Buman, ancien conseiller national PDC a fait son retour sur la scène politique lors du débat sur l’initiative pour des entreprises responsables. Toujours passionné de politique, il est clairement opposé à l’initiative anti-burqa et comme ex-syndic de Fribourg, il suivra de très près les élections fribourgeoises, où les Verts pourraient faire leur entrée dans l’exécutif de la capitale.
Oskar Freysinger
«Je mets beaucoup d’espoir dans l’acceptation de l’initiative sur l’interdiction de la dissimulation du visage. Partout, dans le monde islamique, des femmes courageuses se battent à visage découvert pour leur liberté. Il faut que le peuple suisse donne un signal de soutien à ces femmes en disant non à la prison de toile qu’est le voile islamique.
J’espère que le peuple votera contre la loi «antiterroriste», qui, en se basant sur une définition totalement floue du «terrorisme» permet de surseoir aux droits constitutionnels des citoyens. De plus, les critères jusqu’à présent cumulatifs ne sont plus qu’alternatifs. Une interprétation restrictive du texte de loi permet de faire taire toute voix critique qui ne convient pas au pouvoir en place.
Je souhaite aussi un non à l’accord de libre marché avec l’Indonésie. Nous ne ferions qu’augmenter la richesse des multinationales qui dirigent en coulisses ce pays, détruisent l’habitat des peuples indigènes, pillent les richesses du pays et méprisent les droits humains. De plus, l’huile de palme est catastrophique tant du point de vue alimentaire qu’écologique et représente une concurrence déloyale pour l’huile de colza suisse.
En Valais, je souhaite le retour de l’UDC au Conseil d’Etat par Franz Ruppen, seul à même de défendre le deuxième siège haut-valaisan. Il en va de l’unité cantonale. Je souhaite aussi une solide majorité bourgeoise au gouvernement pour garantir une gestion responsable des deniers publics.»
Oskar Freysinger est ancien vice-président de l’UDC suisse. Il avait été l’un des fers de lance de l’initiative contre les minarets acceptée en 2009. Devenu ensuite conseiller d’Etat valaisan, il n’a pas été réélu en 2017 et cette année, il s’est fortement engagé pour que son parti fasse son retour au gouvernement avec le Haut-Valaisan Franz Ruppen.
A lire: Le retour planifié d’Oskar Freysinger
Florence Gross
«Un dimanche qui s’annonce animé et qui est la preuve de la richesse de notre système démocratique! Au niveau fédéral, si nous allons certainement parler longuement, avec un brin de populisme, de l’initiative «Oui à l’interdiction de se dissimuler le visage», l’enjeu sur l’accord de partenariat économique avec l’Indonésie est un enjeu largement plus important selon moi. L’accord de libre-échange proposé n’équivaut aucunement à un vote sur l’huile de palme, mais offre des opportunités non négligeables à notre économie, largement ébranlée par la crise du covid. Opportunité économique pour la Suisse, cet accord permet de plus de renforcer le développement durable, malgré ce qu’affirment les opposants. A noter que l’UE est actuellement en négociation pour un même type d’accord et que le refuser serait se tirer une balle dans le pied pour notre pays.
Le Conseil d’Etat Vaudois s’est fortement impliqué au travers de sa présidente de manière surprenante contre la loi sur l’e-ID. Une rare unanimité au sein du législatif cantonal. Rare mais surtout extrêmement étonnante; lutter contre une solution innovante engendrant simplification et flexibilité dans un pays où la surcharge administrative règne encore. Non, une gestion par l’Etat ne garantit pas d’efficience supérieure. Le monopole étatique n’a d’ailleurs jamais été synonyme de réussite.
La population vaudoise élit ses représentants communaux. La faible participation à ce jour peut surprendre, alors même que le «participatif» est revendiqué régulièrement. Si le PLR devrait maintenir sa position de première force politique tant dans les législatifs que les exécutifs, les résultats dans les communes de plus de 10 000 habitants sont difficiles à pronostiquer.»
Florence Gross est députée vaudoise, membre du PLR, dont elle a été la vice-présidente cantonale. Pour l’habitante d’Epesses, l’acceptation de l’accord de libre-échange avec l’Indonésie est un enjeu majeur de ce dimanche. Elle espère également que sa formation restera la première du canton de Vaud.
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Manuel Tornare
«Votations et élections, les questions en embuscade: comme souvent lors de votations, les questions posées au peuple cachent évidemment d’autres questions plus délicates, plus essentielles. Des mots sous les mots, voire parfois des maux!
Concernant la burqa, au-delà de la surenchère électoraliste de l’UDC, (comme pour les minarets, elle s’attache au superficiel plutôt qu’à l’essentiel), il sera intéressant d’analyser si le oui a bénéficié de l’apport de nombreuses voix de gauche qui n’ont pas eu peur de briser un tabou: glisser un bulletin estampillé UDC.
Au-delà de la burqa, qui ne concerne que quelques unités (souvent des converties qui font du zèle ridicule en vue d’être mieux intégrées…), le camp laïc, d’une part, et les féministes, d’autre part, n’esquiveront pas, quoi qu’en disent des élues PS, de préciser certains fondamentaux au risque de laisser la place à de sempiternelles initiatives des populistes.
Le rôle de l’Etat est posé. Concernant la loi fédérale sur les services d’identification électronique, il sera intéressant de voir si le peuple entend conserver à l’Etat un droit de regard exclusif sur l’émission des passeports, entre autres; si les dérives récentes de privés en matière de sécurité des données conserveront à l’Etat son rôle régalien.
Quant à l’Accord sur l’Indonésie, le peuple entendra-t-il à l’avenir moraliser davantage les traités internationaux?
Quant à l’élection au Conseil d’Etat genevois, que toute la Suisse analysera, ce sont les scores de Maudet, ex-PLR, qui a su capter la lumière durant cette campagne plutôt morne – le covid n’excuse pas tout – et du candidat PLR Aellen qui seront en ligne de mire. Un test primordial pour le PLR, lequel n’a plus qu’une conseillère d’Etat (qui fait bien le job). Ce même PLR qui a «consumé» cinq conseillers d’Etat en 30 ans, soit non réélus, soit contraints à la démission! Quant à la candidate verte, sera-t-elle suivie par l’électorat socialiste qui n’a pas toujours apprécié certaines de ses hésitations?»
Manuel Tornare. Ancien maire de Genève et ancien conseiller national, il est l’un des rares socialistes à avoir ouvertement soutenu l’initiative dite «anti-burqa». Son regard sur la tentative désespérée de Pierre Maudet sera intéressant.