Cinq religions sous un même toit

Dialogue La Maison des religions a ouvert ses portes cet hiverà Berne

La construction du bâtiment n’a pas été une sinécure

Après de multiples concessions,la cohabitation commence

Le parvis en pierre se peuple de musulmans. La grande prière du vendredi s’achève à l’instant. L’imam en tenue blanche serre la main de chaque fidèle devant la façade vitrée recouvrant la photo d’une mosquée. Quelques mètres plus loin, des sculptures multicolores hindoues s’échappent du même bâtiment transparent. Des clients, installés sur la terrasse, finissent de déguster un plat du jour ayurvédique cuisiné par le prêtre tamoul.

La Maison des religions a ouvert cet hiver dans le quartier populaire de Bümpliz, à Berne. L’ouverture de la mosquée a été célébrée il y a quelques semaines, tandis que les alévis achèvent encore leur lieu de réunion, le cemevi. Les communautés hindoue, bouddhiste et chrétienne ont déjà pris leurs quartiers au rez-de-chaussée et au 1er étage de la maison; enfin réunies pour entamer le «dialogue».

Celui-ci a commencé en réalité il y a plus de dix ans pour réussir ce tour de force. «La construction du bâtiment était une véritable épreuve», concède David Leutwyler, responsable de l’association. Parmi le florilège de défis à relever sans froisser les sensibilités, il fallait décider quelles religions seraient logées au premier, «au-dessus» des autres; tenter de respecter l’orientation géographique de l’église vers l’est et de la mosquée vers La Mecque; permettre aux fidèles hindous de tourner autour du temple et de voir au loin son entrée; Enfin, accuellir les visiteurs avec la statue de Bouddha.

Chaque communauté avait ses exigences. Le premier groupe musulman impliqué a d’ailleurs fini par quitter le projet. L’imam Mustafa Memeti a pris la relève et ouvert la mosquée dans ce lieu particulier. La salle chrétienne relevait aussi de la gageure, réunissant les différents courants catholiques, réformés et orthodoxes. Elle a dû opter pour un décor blanc épuré sans véritable croix, ni autel. Seul son plafond, décoré d’arches néogothiques, retient l’attention.

«Chaque communauté a dû faire des compromis pour cohabiter, mais aussi pour respecter les exigences helvétiques», note le responsable. Les alévis, qui ont l’habitude d’allumer un feu sacré lors de leurs cérémonies, se sont confrontés à l’angoisse des pompiers et des assureurs. Leur feu ressemble désormais davantage à une flamme qu’à un brasier.

La communauté hindoue avait fait venir, de son côté, treize artistes du Tamil Nadu, en Inde, pour sculpter et peindre les 350 figures qui ornent l’espace sacré. Outre les problèmes de visas – les artistes n’ont eu que sept mois pour réaliser leur travail, alors qu’ils ont besoin généralement d’un an et demi –, leur tenue ne répondait pas aux normes helvétiques. «Ces artistes travaillent toujours pieds nus, ce qui est interdit sur les chantiers en Suisse. Il y a dû avoir un dialogue entre Shiva et la SUVA», plaisante David Leutwyler.

Bien que les parois aient été insonorisées, «il a fallu faire attention aux bruits», raconte le prêtre Sasikumar Tharmalinguam. «Vérifier que l’on ne fasse pas de cérémonie avec des tambours quand les autres sont en prière calme et silencieuse. On apprend à communiquer», sourit le responsable tamoul, impliqué dans le projet de Maison des religions depuis son origine en 1998.

Le prêtre a revêtu ses étoffes traditionnelles et tracés les lignes sacrées sur son front. C’est lui qui cuisinait ce matin pour le restaurant, embaumant tout l’édifice de parfums épicés. Il nous conduit à présent dans le temple flamboyant. Les fidèles sont attendus à 19h, la grande salle demeure déserte. Plus d’un million de francs ont été récoltés au sein de la communauté tamoul pour construire ce lieu sacré, «le plus moderne d’Europe», s’illumine Sasikumar Tharmalinguam. Pendant dix ans, le religieux a organisé des collectes de fonds et des événements culinaires pour amasser progressivement la somme.

Les murs de la maison des religions, devisée à 10 millions de francs, ont été construits grâce à des dons de la fondation Rudolf et Ursula Streit, des églises catholiques et réformées bernoises ainsi que du canton notamment. Mais chaque communauté religieuse est tenue de payer l’aménagement de son lieu de prière et de s’acquitter d’un loyer mensuel de 110 francs par mètre carré, plus les frais.

La communauté bouddhiste peut compter sur une doctoresse vietnamienne pour financer le loyer du temple de 2000 francs. La salle de méditation est sobrement décorée. Des fleurs roses et blanches, symboles du processus de vie et de mort, ont été déposées devant un grand Bouddha. La statue qui trône au fond de la salle n’a de dorée que la couleur.

La communauté musulmane albanaise a collecté quant à elle quelque 800 000 francs pour construire la salle de prière, le balcon réservé aux femmes, les chambres des ablutions, et parer le lieu de peintures, de tapis de prière rouge et or, ainsi que d’un immense lustre. Les membres de la communauté ont fait des dons, mais aussi offert de leur temps en tant qu’ouvriers ou peintres.

Les alévis, des réfugiés kurdes pour la plupart, ont eu quelques soucis financiers. «Voilà pourquoi ils n’ont pas encore fini, précise David Leutwyler. Mais ils sont panthéistes [Dieu se manifeste partout], le lieu de réunion a donc moins d’importance.» La salle, logée à l’arrière du bâtiment au 1er étage, frappe par sa simplicité: quelques tables et des chaises, des murs blancs parés d’alcôves vides.

Tous les lieux de culte sont ouverts ce jour-ci, mais les responsables chrétiens et alévis sont absents. Une vitrine présente également les communautés juives, sikhs et baha’is. Ces dernières ne possèdent pas de salle dans la maison, mais participent au dialogue. Concrètement? «Un représentant de chaque religion siège au comité de la Maison des religions. Nous nous réunissons une fois par mois. A part cela, le dialogue reste très spontané. C’est une énergie, comme diraient les hindous», explique David Leutwyler, qui prône une approche «pragmatique».

Si le dialogue est déstructuré, la proximité produit déjà ses premiers effets. «Certains de nos membres se sont rendus pour la première fois dans une mosquée, à l’occasion de son inauguration, raconte Sasikumar Tharmalinguam. Des musulmans sont aussi venus dans notre temple. Toutes les portes étaient ouvertes. C’est une façon de s’intéresser aux autres, réduire des peurs.» Le prêtre hindou a d’ailleurs pris la parole dans la mosquée, à cette occasion.

Lors des grandes fêtes, les échanges se font naturellement. Ce samedi, c’est la communauté bouddhiste qui est en effervescence pour le «Vesak». Elle célèbre aujourd’hui la naissance, l’illumination et le décès de Bouddha. Des reliques venues du Sri Lanka ont même été acheminées à Berne. La cérémonie, qui s’étend de 9h30 à 22h30, est ouverte à tous.

La Maison des religions attire chaque jour une foule de curieux. Près de 230 groupes d’étudiants, de touristes et d’entreprises, préoccupées par le multiculturalisme, ont déjà visité le lieu depuis le début de l’année. «Les réservations pour les groupes sont complètes jusqu’à fin décembre», se félicite le responsable. Les badauds peuvent toujours déambuler, sans guide, dans les différentes pièces sacrées. Le restaurant ayurvédique dans le grand hall d’entrée est d’ailleurs pris d’assaut les midis par les Bernois qui travaillent dans les environs.

Au risque de déranger les cérémonies religieuses? «Nous sommes toujours ouverts, et les visiteurs sont les bienvenus, précise l’imam Memeti. Y compris pendant la prière. Il faut simplement respecter le calme et l’ordre», note-t-il en ramassant un bout de papier abandonné sur le tapis rouge.

Les responsables de la maison des religions sont tous connus pour leur ouverture d’esprit. L’imam bernois a été sacré Suisse de l’année en 2014 par la SonntagsZeitung pour son travail en faveur du dialogue interreligieux. Le prêtre hindou suit un courant réformiste, accueillant les premières femmes prêtres et ignorant le système des castes.

Le moine sri-lankais qui médite ce jour dans le temple bouddhiste a participé à la formation de médiateurs religieux en contexte interculturel à la Haute Ecole de travail social. Un cursus étroitement lié à la nouvelle Maison des religions.

Le moine drapé dans son tissu orange initie les visiteurs à la méditation. «Les groupes ne restent parfois que 5 à 10 minutes. Bouddha a pris des années pour y arriver», reconnaît-il, d’un ton rieur.

Reste que les visites publiques permettent de susciter la réflexion. «En ce moment dans notre société, il y a beaucoup de défiance envers les religions, remarque David Leut­wyler. Elles s’intéressent pourtant aux pauvres, aux abandonnés. Elles ont une valeur dans la société et il est important d’y réfléchir.» Le Bernois se sentait auparavant athée. «Depuis que je travaille ici, je suis peut-être devenu plus croyant», reconnaît le responsable de confession protestante.

Les espaces communs, tels que les tables du restaurant, invitent à la discussion. Marco, un visiteur, nous interpelle: «Tout le monde est poli et courtois. C’est magnifique… mais chaque confession reste convaincue de détenir la vérité. Finirai-je en enfer, si je ne crois pas en leur dieu?»

«En ce moment, dans notre société, il y a beaucoup de défiance envers les religions»