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Cinq votations et une esquisse de l'avenir des langues en Suisse

Schaffhouse a dit «non» à une seule langue étrangère au primaire. Zoug, Thurgovie, Zurich et Lucerne doivent encore se prononcer. Un débat qui s'accompagne de multiples questions politiques et pédagogiques.

«Cette initiative a au moins permis de s'interroger sur ce que l'école veut offrir aux jeunes.» Professeur émérite en pédagogie de l'économie à l'Université de Saint-Gall, Rolf Dubs est un grand connaisseur du système de formation en Suisse. Il suit avec intérêt le débat né en Suisse alémanique autour de l'enseignement des langues étrangères au primaire. Ce week-end, les Schaffhousois ont rejeté de justesse (51,3%) l'initiative pour une seule langue étrangère mais quatre autres cantons devraient encore se prononcer sur ce sujet (ZG, TG, ZH et LU).

Rolf Dubs défend le modèle 3/5 de la Conférence des directeurs cantonaux de l'Instruction publique (CDIP), favorable à deux langues dites «étrangères».

Mais ce débat rejoint d'autres soucis qui agitent l'univers scolaire alémanique, relève-t-il. L'intégration des enfants étrangers, la qualité de la formation des enseignants, le nombre toujours restreint d'heures réservées à la gymnastique ou encore l'utilisation de l'allemand standard dès l'école enfantine en font partie. «Et puis, les enseignants ne sont pas suffisamment préparés aux nouvelles exigences que sont par exemple les deux langues étrangères ou les questions d'intégration sociale.»

Selon le professeur saint-gallois, le milieu politique n'a pas encore réalisé l'importance de la formation. «Or elle est essentielle et ne devrait pas être un ballon de jeu politique.»

  • L'exemple schaffhousois

Depuis plusieurs mois, la question des langues agite les esprits. Dans les cantons encore appelés à se prononcer sur l'initiative, on a beaucoup attendu du vote schaffhousois de dimanche. D'un côté comme de l'autre.

Thomas Hurter, député UDC schaffhousois, est l'un des coordinateurs intercantonaux de l'initiative: «Le résultat est serré et montre à la CDIP qu'un mécontentement est là.» A Schaffhouse, beaucoup ont dit «non» pour voir ce que Zurich décidera l'an prochain, estime-t-il. «On a aussi craint l'intervention de Berne pour imposer une langue, brandie comme menace par le gouvernement.»

  • Une solution régionale?

Selon lui, il est vain de vouloir régler la question des langues au niveau national. Il y aura toujours des différences. «Une coordination est souhaitable au niveau des régions. En Suisse alémanique par exemple, tous les cantons devraient commencer avec l'anglais et garder le français en secondaire.»

Une première fois vaincu, le comité intercantonal restera attentif aux changements promis. Thomas Hurter: «Les conditions d'encadrement, par exemple. L'introduction de deux langes coûtera de l'argent; or à Schaffhouse, nous avons dû fermer des classes pour des raisons financières.» A plus court terme, on compte sur les observations faites à Schaffhouse pour glaner des voix dans les autres cantons. Même si les motifs de campagne ne sont pas toujours les mêmes.

A Zoug, les partisans de l'initiative – 85% du corps enseignant y est favorable – se réfèrent surtout aux branches soi-disant lésées par l'introduction d'une seconde langue. Le nombre d'heures de travaux manuels serait revu à la baisse et «ce serait une grande perte pour nos enfants», soutient le président des enseignants, Thomas Pfiffner.

Ici, le parlement a rejeté l'initiative surtout par crainte de perdre l'anglais en cas d'intervention de la Confédération. Thomas Pfiffner poursuit: «Chez nous, la question de l'école est toujours aussi très liée à l'argent; on l'a vu avec le débat sur la nouvelle péréquation financière et la répartition des coûts.» Pour la votation de mai, seule l'UDC s'est montrée unie en faveur d'un «oui». Radicaux et PDC sont partagés et, comme dans les autres cantons, les socialistes sont les plus tiraillés.

  • Le dernier mot zurichois

Thurgovie se prononcera aussi le 21 mai. Chez le mieux noté des derniers tests Pisa, plusieurs réformes scolaires ont agité la vie politique durant ces dernières années. Les directions d'établissements scolaires ont notamment obtenu de plus larges compétences.

L'UDC en a fait un argument: trop de réformes et trop de surcharge pour l'enfant. On observe aussi une méfiance à l'égard des conditions-cadres, surtout du côté des enseignants. Chef de l'Office cantonal de l'école obligatoire, Walter Berger entend y remédier: «Nous allons multiplier les stands d'information. Lors du lancement du système 3/5, il aurait déjà fallu sensibiliser davantage les parents aux nouvelles méthodes d'enseignement.»

Quoi qu'il arrive en mai, le débat ne sera pas clos. En 2007, ce sera certainement au tour de Lucerne et de Zurich de se prononcer via les urnes. Dimanche, peu après l'annonce des résultats schaffhousois, la cheffe de l'Ecole zurichoise, Regine Aeppli, a poussé un grand «ouf» de soulagement. Mais elle sait que beaucoup de choses dépendront de la décision de son canton.