justice
Le Genevois Xavier Justo est emprisonné en Thaïlande, accusé de chantage après un vol de données. Son avocat raconte comment il s’est retrouvé au cœur du scandale financier qui ébranle la Malaisie

«Tout ce qui l’intéressait, c’était d’être payé»
Justice Accusé de chantage, Xavier Justo croupit dans une prison de Bangkok
Son avocat explique le rôle de ce Genevois dans le scandale financier qui ébranle la Malaisie
Un homme ordinaire, écrasé par une affaire qui le submerge. C’est ainsi que se voit Xavier Justo, un Suisse de 49 ans arrêté en Thaïlande pour chantage. Les documents qu’il a soustraits à son ancien employeur genevois, la société PetroSaudi, alimentent aujourd’hui les attaques contre le premier ministre malaisien, Najib Razak. Un fonds d’investissement public, 1MDB, qui avait formé une co-entreprise avec PetroSaudi, aurait financé ses campagnes et ses amis politiques. La somme de 700 millions de dollars – une «donation», selon les autorités malaisiennes – a été retrouvée sur ses comptes personnels. L’avocat suisse de Xavier Justo, Marc Henzelin, a rendu visite à son client lundi dans la prison de Klong Prem, à Bangkok. Il explique le rôle du Genevois dans ce dossier exceptionnel.
Le Temps: Comment un Suisse en apparence ordinaire peut-il se retrouver au cœur du scandale qui déstabilise la Malaisie, un pays de 30 millions d’habitants?
Marc Henzelin: Cela le dépasse complètement. C’était une bête histoire de conflit de droit privé, entre un ex-employé et son ex-employeur, pour toucher un petit peu plus que son parachute doré. Il avait obtenu 4 millions, il voulait 6 millions. Ce qu’il a fait n’était pas très intelligent, il l’admet. Il a fait des aveux complets, il a présenté ses excuses, il collabore entièrement avec les autorités thaïes, il plaide coupable et maintenant il espère que cette histoire sera derrière lui le plus rapidement possible.
– Quelles données a-t-il volées, quand et comment?
– Ce ne sont pas 9 gigas, comme votre journal l’a écrit, mais bien 90 gigas de données que Xavier Justo avait volées à l’époque. C’est-à-dire l’équivalent de 90 clés USB. Cela s’est passé à la fin de ses rapports de travail avec PetroSaudi. Il a pris au hasard tout ce qu’il trouvait dans les ordinateurs sans savoir ce qu’il y avait dans ces mails. Il n’est pas et il n’a jamais été un lanceur d’alerte. Sa motivation était purement financière. Pendant deux ans, de 2011 à 2013, il a gardé cela en stock. Après, il a été recontacté par PetroSaudi, et c’est là qu’il a eu l’idée de monnayer ces données. Il a d’abord demandé 3 millions, et ensuite il a baissé un peu le prix. Mais PetroSaudi a tout simplement refusé de payer et d’entrer dans son jeu. Une connaissance de Xavier Justo l’a alors mis en relation avec un contact malaisien. De là, le lien s’est fait avec l’opposition malaisienne et l’activiste Clare Rewcastle Brown [à l’origine des révélations sur le fonds 1MDB et le premier ministre malaisien]. Il y a eu toute une discussion pour savoir combien elle serait prête à payer. A ce moment-là, il n’avait toujours aucune idée précise de ce que les données contenaient. Tout ce qui l’intéressait, c’était de savoir combien il serait payé. Il ne voulait pas entrer dans une polémique. Au final, il a eu des difficultés pour se faire payer. La Fondation Bruno Manser, par exemple, a refusé de servir d’intermédiaire pour lui verser l’argent. Pour finir, il a accepté de remettre les données sans être payé. Il s’est fait avoir. Il estime être la victime collatérale d’un complot politique.
– Etait-il conscient du caractère criminel de ses actions?
– Il y avait chez lui une certaine rancœur, une certaine frustration d’avoir été licencié. Il a occulté l’aspect juridique, d’autant qu’il résidait désormais en Thaïlande, où le droit n’est pas très présent dans la société. Il y a eu un rendez-vous avec un des directeurs de PetroSaudi dans ce pays, qui l’a rendu attentif au caractère pénal de ses revendications, mais il n’en a pas tenu compte. C’était, pour moi, de l’inconscience.
– Votre client était l’un des dirigeants de PetroSaudi à Genève. N’a-t-il pas vu passer des transactions suspectes, problématiques?
– Il avait un rôle principalement administratif au sein de la société. Il s’occupait surtout d’informatique, pas de l’opérationnel ou des finances. Il n’a rien vu d’illégal dans les activités de la société. C’est pour cette raison qu’il réfute le rôle de lanceur d’alerte qu’on veut maintenant lui prêter. De son point de vue, il n’y avait pas d’alerte à lancer.
– PetroSaudi, c’est une vraie société? Ou une simple façade?
– Je ne suis pas l’avocat de PetroSaudi, mais il est de notoriété publique qu’il s’agit d’une société pétrolière sérieuse, pas d’une coquille vide. Ils ont des blocs de pétrole et des bateaux de forage qu’ils exploitent.
– Xavier Justo savait-il à quoi allaient servir les documents qu’il remettait à l’opposition malaisienne? Ces documents ont-ils été modifiés avant d’être publiés, comme l’affirme PetroSaudi?
– Mon client a assisté à des réunions où l’opposition malaisienne et Clare Rewcastle Brown évoquaient clairement l’utilisation politique qu’ils avaient l’intention de faire de documents qu’ils n’avaient pas encore lus. Il estime que les documents ont été utilisés de manière peu scrupuleuse et que certains ont été modifiés. Mais dans quelle mesure, quel volume, il ne le sait pas. Ce qui est sûr, c’est qu’il a l’impression d’avoir été utilisé, manipulé. En plus, il n’a pas été payé, donc il est un peu fâché.
– Quel est l’objectif de votre client aujourd’hui?
– Il était très déprimé jusqu’à jeudi dernier, mais lundi il était d’excellente humeur, car il avait pu voir sa femme, qui était jusque-là restée à Genève chez ses parents. Il va être condamné rapidement, peut-être déjà la semaine prochaine. Le principe de la condamnation pour chantage est acquis, puisqu’il a plaidé coupable. Il va purger sa peine en Thaïlande – on me dit qu’elle pourrait s’échelonner entre six mois et un an et demi. Techniquement, il serait possible de purger une partie de cette peine en Suisse. Mais l’accord entre les deux pays sur le transfèrement de prisonniers stipule qu’il s’applique si l’on a encore une peine d’au moins un an à purger. En comptant ses deux mois de détention préventive et le temps des démarches administratives, on n’y arrivera sans doute pas. Puis il espère refaire sa vie avec sa femme et son enfant à sa sortie.