Publicité

Cluses, cité savoyarde où tout va bien mais où l'insécurité n'en monte pas moins

Malgré un taux de chômage très faible, la capitale du décolletage enregistre une augmentation de la délinquance. La mairie installera des caméras de surveillance. A l'approche des élections législatives, le Front national persifle.

«Cette fois ma décision est prise, je résilie mon bail et m'en vais», prévient Yassetin Sengul, en montrant la vitrine brisée de l'agence publicitaire qu'il possède dans le quartier des Ewues à Cluses, en Haute-Savoie: «Il y a trois mois, ils ont défoncé la porte d'entrée et ont emporté pour 70 000 francs (français) de matériel. Cela faisait pourtant deux ans que j'étais là sans connaître de pépin.» A côté de son agence, les deux autres locaux commerciaux sont vides. Leurs occupants ont préféré abandonner eux aussi les Ewues, l'un des quartiers chauds, plutôt que de subir ces actes de délinquance qui empoisonnent Cluses, et obligent les municipalités de l'agglomération à improviser des solutions.

De prime abord, cette commune savoyarde aurait tout pour être une cité sans histoire. Grâce à son statut de capitale française du décolletage, le bassin clusien, longeant l'Arve à une quarantaine de kilomètres de Genève et dont la population avoisine les 70 000 habitants, connaît le plein emploi avec un taux de chômage de 3,2%. Pourtant, depuis le début de 2001, une flambée de violence, accompagnée d'une augmentation de la criminalité, perturbe la tranquillité des habitants.

Ce phénomène de délinquance n'est pas unique en Haute-Savoie puisque Thonon et Annemasse sont confrontés à des situations similaires, comme la plupart des agglomérations françaises où les statistiques liées à la criminalité ont augmenté en moyenne de plus 7% lors du premier semestre 2001. Dans la plaine de l'Arve, la sécurité sera donc au cœur de la campagne électorale pour les législatives de juin.

A Cluses, la situation est telle que même les forces de l'ordre se trouvent en position de victimes. Le local de la Police municipale, situé aux Ewues, porte encore les traces noirâtres des tentatives d'incendie perpétrées par des adolescents de ce quartier constitué d'immeubles de dix étages d'habitations à loyer modéré (HLM). «Peu avant Noël, une vingtaine de jeunes nous ont lancé des pierres», raconte le lieutenant Michel Ajavon. Ici, la police n'est plus en sécurité. Tous les soirs, les îlotiers mettent leur voiture de fonction à l'abri, dans le garage des pompiers…

Une vaste enquête d'opinion menée par les communes de l'agglomération clusienne confirme le sentiment d'insécurité grandissant au sein de la population. «Les gens sont de plus en plus nombreux à être victimes ou témoins de vols, d'agressions et d'actes d'incivilité», reconnaît Jean Monnier, président du Syndicat intercommunal à vocation unique (SIVU), une structure administrative qui regroupe les sept communes de l'agglomération. Ce fut le cas il y a trois semaines, à l'entrée de l'hypermarché de la ville, lorsque deux bandes rivales d'une trentaine de jeunes chacune se sont affrontées en plein après-midi: «La baston a commencé parce qu'un gars du quartier du Crozet, dans la commune d'à côté, n'a pas aimé qu'un type de chez nous couche avec sa sœur. Ça commence souvent comme ça, pour des broutilles», explique un jeune au tutoiement facile.

Pour enrayer la délinquance, la municipalité de Cluses a augmenté de 310 000 euros (480 000 francs) le budget lié à la sécurité. L'effectif de policiers municipaux passera de 7 à 12, mais surtout des caméras de surveillance seront installées à des endroits fréquentés de la ville. Le maire RPR Jean-Claude Léger espère ramener ainsi la sérénité parmi ses administrés et aussi priver Dominique Martin, candidat-député du Front national, de son principal thème électoral: l'insécurité. Lors des élections municipales de 2001, le représentant du parti de Jean-Marie Le Pen avait raté de quelque deux cents voix sont entrée à la mairie.

Pour Dominique Martin, les mesures prises par le maire sont insuffisantes. «Il faudrait encore tripler l'effectif de la police municipale», dit-il. Quant aux caméras de surveillance: «C'est une bonne idée, mais je ne leur donne pas une longue espérance de vie. Elles seront rapidement cassées.» Selon lui, «la solution passe par la répression, mais avec une prise en compte nationale du problème, car il ne sert à rien d'expulser les délinquants d'une ville pour qu'ils continuent ailleurs».

Jean Monnier estime qu'il faut diversifier les actions. «C'est vrai que la répression est l'une des réponses. En février, nous allons ouvrir une Maison de la justice avec une permanence d'un juge pour enfants. Les affaires impliquant des mineurs seront réglées rapidement alors qu'actuellement un jeune attend plusieurs mois avant de rencontrer le juge à Annecy.» Toutefois, le président du SIVU estime qu'il faut aider les jeunes à trouver d'autres alternatives à la violence, «notamment en impliquant davantage les parents».

Depuis trois ans aux Ewues, trois médiateurs de l'association Mieux Vivre, financée par la municipalité et par l'Office des HLM, arpentent le quartier pour établir des relations avec les jeunes et régler les problèmes de voisinage. «Quand nous recevons des plaintes concernant des jeunes, nous allons voir leurs parents pour trouver un compromis, explique Hocine Mazouzi, l'un des médiateurs. Et aux jeunes, nous leur faisons la morale.»