L'échec est total. Le plan d'économies de 55 millions sur quatre ans du gouvernement jurassien génère non seulement un grave conflit avec les enseignants, mais il provoque aussi une crise majeure à l'intérieur du Conseil d'Etat lui-même.

Ce mardi, les deux ministres socialistes – la cheffe du Département de l'éducation, Elisabeth Baume-Schneider, et le patron de la Santé, Claude Hêche – briseront la collégialité gouvernementale. Ils rejetteront l'augmentation d'une leçon du pensum hebdomadaire des enseignants qu'imposera la majorité composée des démocrates-chrétiens Gérald Schaller et Jean-François Roth, et du chrétien-social Laurent Schaffter. Les deux élus de gauche devraient le faire savoir publiquement.

L'unité de façade du gouvernement à majorité de centre gauche, élu à fin 2002, vole ainsi en éclats. Elle s'est lézardée une première fois, le 1er juillet, lorsque l'exécutif a dévoilé le paquet d'économies censé contenir les déficits et permettre le lancement du programme d'attractivité «Jura, Pays ouvert». Les cinq ministres admettaient la nécessité de réduire les dépenses de l'Etat, mais Claude Hêche avait fait état de «nuances» face au dessein de s'attaquer à la masse salariale de la fonction publique, et Elisabeth Baume-Schneider avait parlé de «net bémol face à l'ampleur de l'effort demandé aux enseignants». Dans la mesure où le plan d'économies gouvernemental devait encore franchir l'obstacle parlementaire et être discuté avec les partenaires, la distance prise par les ministres socialistes avait été considérée comme une incitation à la négociation.

Or, personne n'a voulu négocier l'économie de 13 millions sur le dos des enseignants. Le gouvernement et son ministre des Finances, Gérald Schaller, se sont montrés intransigeants sur l'objectif financier à atteindre. Et le syndicat des enseignants a écarté toute mesure péjorant le salaire ou le statut des profs. Ce qui s'appelait officiellement un «processus de négociations» a commencé par une grève, puis a tourné au dialogue de sourds, aux invectives réciproques et aux menaces. Résultat: ce mardi, la majorité du gouvernement décrétera qu'à partir de la rentrée d'août 2004, le pensum hebdomadaire d'un enseignant primaire jurassien passera de 28 à 29 leçons. La mesure doit permettre de supprimer l'équivalent de 40 emplois à plein temps. Le syndicat estime que la mesure provoquera la suppression de 60 à 80 postes de travail à temps partiel.

«Je n'ai rien à dire pour le moment, sinon que je rejette la mesure», s'est contentée de glisser Elisabeth Baume-Schneider, lundi soir, à la sortie de la courte séance entre exécutif et représentants syndicaux. La ministre s'est rapidement éclipsée, annonçant qu'elle en dira peut-être davantage lorsque le gouvernement aura formellement pris sa décision.

L'échec des discussions est aussi son propre échec. La ministre socialiste n'est pas parvenue à convaincre une majorité de l'exécutif qu'il fallait épargner l'école et les enseignants du programme d'économies. Puis, désignée négociatrice et modératrice du conflit avec les syndicats, elle n'a pas su tracer l'étroit chemin qui aurait permis de satisfaire le besoin d'économies de l'Etat et arracher un accord du monde enseignant. Peut-être a-t-elle formulé quelque proposition au Conseil d'Etat, que ses collègues auraient refusée – c'est possible, puisque Gérald Schaller a déclaré aux syndicats que le gouvernement avait étudié «d'autres pistes, avant de les repousser». Elisabeth Baume-Schneider aurait alors pu souffler ses bonnes idées aux syndicats, invités à trouver des économies équivalant aux effets de la hausse du pensum.

Sachant sa crédibilité en jeu, ayant annoncé avant son élection qu'elle ne renierait pas ses convictions profondes, la ministre de l'Education n'a d'autre choix, à présent, que de briser la collégialité. Si elle a refusé de le faire ouvertement avant la décision du gouvernement, c'est parce qu'elle doit affiner sa stratégie: s'opposer trop ostensiblement à la majorité gouvernementale lui coûterait certainement la confiance de ses collègues, voire du parlement, dans les prochains dossiers qu'elle aura à défendre; elle doit aussi faire comprendre que son soutien aux enseignants n'est pas une capitulation face à leurs revendications. Elle sait qu'elle devra briser leur réticence initiale face à son projet «Ecole 2004», qui doit redessiner la carte scolaire, harmoniser les horaires et renforcer les dotations pour les disciplines de base.

Et en choisissant le camp des enseignants, la ministre de l'Education pourra continuer de clamer qu'elle est en faveur d'une école publique jurassienne de qualité. D'ailleurs, s'ils annoncent des boycotts administratifs et quantité de procédures juridiques et politiques en guise de représailles, les enseignants déclarent qu'ils «ne feront rien qui porte préjudice aux élèves et à la qualité de l'enseignement». Une telle promesse valait peut-être une rupture de collégialité.