La «commande du siècle» des CFF tourne à l’aigre

Rail Les 59 rames ont du retard. Plaintes et dédommagements financiers sont dans l’air

C’était présenté comme la «commande du siècle»: en 2010, les CFF ont mandaté Bombardier pour construire 59 trains à deux étages pour un montant de 1,9 milliard. Les sept premières compositions devaient être livrées en 2013. Or, la fabrication a deux ans de retard et les CFF et Bombardier sont entrés dans une querelle de gros sous qui a déjà des suites politiques.

Mercredi soir, l’émission Rund­schau de la TV alémanique a publié des documents «strictement confidentiels» des CFF indiquant que Bombardier leur reprochait d’avoir «perturbé le processus contractuel par des interventions inacceptables dans le design, de sorte que plus aucun délai de livraison n’est valable». Selon ce document, Bombardier «se réserve le droit de demander des dédommagements à hauteur de 326 millions de francs».

En fait, selon nos informations, cette menace du constructeur fait suite à l’intention manifestée par les CFF d’exiger de Bombardier des pénalités, comme c’est prévu contractuellement. Combien? Certaines sources parlent de 460 millions par année de retard, mais une autre mentionne le chiffre de 300 millions.

La question est en fait de savoir qui est responsable de quoi dans cette affaire. Le retard de deux ans, que le patron de Bombardier Suisse, Stéphane Wettstein, a confirmé à Rundschau, est dû à plusieurs facteurs. Premièrement, la justice a donné raison aux associations de handicapés, qui ont exigé des CFF qu’ils améliorent la structure de leurs trains afin de faciliter l’accès des personnes à mobilité réduite, y compris aux WC. Deuxièmement, les premiers tests ont montré que la résistance de la caisse aux très hautes vitesses devait être améliorée. Un défaut que les CFF attribuent au constructeur, qui semble l’admettre.

Troisièmement, Bombardier accuse les CFF d’avoir demandé après coup toute une série de modifications. Lesquelles? Selon nos informations, cela concernerait une modification des WC et l’adjonction de places debout aux places assises, le tout ayant pour conséquence la recalculation de l’équilibre des voitures et de la charge par essieu, limitée à 1,9 tonne.

Lettres ouvertes

Les CFF reconnaissent une part de responsabilité «pour une petite partie des retards», a confié la directrice de la division Voyageurs, Jeannine Pilloud, à Rundschau, mais pas pour le reste. Dans une lettre datée du 23 janvier adressée par Andreas Meyer au président du PLR, Philipp Müller, document dont Le Temps a obtenu copie, le patron des CFF conteste les reproches du fabricant. «Nous rejetons catégoriquement les affirmations de Bombardier selon lesquelles les CFF auraient contribué aux retards de livraison en intervenant dans le projet», écrit-il.

Dans sa lettre ouverte, Philipp Müller s’étonnait que les CFF ne s’engagent pas plus fermement pour que le constructeur tienne ses engagements. Dans sa réponse, Andreas Meyer explique que «ce dossier est une absolue priorité» pour lui et que les documents confidentiels publiés par Rundschau sont des «directives internes» montrant que les CFF se préparent à «des négociations exigeantes». «Il est normal que les fournisseurs cherchent à réduire le plus possible les pénalités de retard qui ont été convenues», écrit-il. Il précise que le chiffre évoqué, en l’occurrence 326 millions, est tiré d’un «échange de lettres» avec Bombardier mais précise qu’il n’y a à l’heure actuelle «aucune prétention financière» de la part du constructeur. En parallèle, les CFF «envisagent de déposer plainte à propos de la diffusion de ce document confidentiel», indique un porte-parole.

Le retard est-il aussi dû au système de compensation du roulis «Wako», qui doit permettre à ces nouveaux trains à deux étages de s’incliner dans les courbes afin qu’ils circulent plus vite, par exemple entre Lausanne et Berne? Cet équipement est plus complexe sur des rames à deux niveaux que sur les trains ICN. Mais il ne serait pas la cause des retards, affirme un connaisseur du projet.