Islam
Sans directives claires, la plupart des communes romandes peinent à trancher la question du burkini. Une réunion du Conseil suisse des religions se tiendra jeudi à ce propos

Depuis vendredi dernier, les maires des villes françaises ne peuvent plus interdire le burkini sur les plages, selon la plus haute instance juridique française. Cependant, certains contestent vivement cette décision et maintiennent leurs arrêtés. En Suisse, ce sont les communes qui décident du type de vêtements autorisé dans les piscines. Il n’existe aucune loi fédérale ni cantonale réglementant le port du burkini, ce costume de bain intégral pour femmes musulmanes ne laissant que le visage découvert. Mais ce jeudi, a appris «Le Temps», le Conseil suisse des religions abordera cette épineuse question.
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En Suisse, très peu de femmes viennent à la piscine en burkini. Jusqu’ici, seul le Tribunal fédéral s’est prononcé sur le sujet. Dans un arrêt de 2013, il préconise d’autoriser ce vêtement pour favoriser l’intégration des élèves musulmanes aux cours de natation et éviter les dispenses scolaires pour motifs religieux.
Des normes d’hygiène restrictives
«Le burkini n’est pas autorisé, mais pas explicitement interdit», explique Christian Barascud, responsable des piscines de la ville de Lausanne. «Le règlement exclut depuis une douzaine d’années les costumes de bains qui dépassent la longueur mi-cuisse, à cause de la mode des longs shorts que portent les adolescents. Les tenues couvrantes ne sont pas autorisées car elles ne sont pas adaptées aux normes d’hygiène des piscines. La religion n’a rien à voir là-dedans», précise-t-il.
La situation suisse est différente de celle sur les plages françaises: ici, il s’agit de piscines contrôlées
La Suisse a des normes très rigoureuses sur la pureté de l’eau, contrairement aux autres pays européens. Le municipal lausannois Oscar Tosato, notamment chargé des sports, insiste également sur le critère de l’hygiène. «On ne peut pas comparer la polémique sur les plages françaises à la situation suisse: ici, il s’agit de piscines contrôlées chaque mois», explique-t-il. «Plus un costume de bain est couvrant, plus il y a des bactéries dans l’eau, plus les normes d’hygiènes sont bafouées. Le problème ne se poserait pas si tout le monde se douchait, mais ce n’est pas le cas.»
Le vêtement doit être en matière synthétique, exclusivement destiné à la baignade, près du corps et découvert au niveau du visage
Ces raisons sanitaires sont également invoquées dans les communes de Montreux et de Delémont. Mais justifier l’interdiction du burkini n’est pas chose facile pour toutes les municipalités. A la piscine de Carouge, une femme en burkini a été sommée de rejoindre la pelouse en juillet dernier après avoir été accusée de porter un «signe religieux distinctif». Embarrassé, le responsable de la piscine s’est rapidement rétracté en annonçant s’être trompé de motif, souligne la Tribune de Genève qui a relaté l’histoire. En réalité, toutes les tenues de bain intégrales sont proscrites «pour de raisons d’hygiène et de sécurité», a-t-il rectifié.
Une précaution sécuritaire
L’aspect sécuritaire est aussi avancé par de nombreuses communes, comme en Ville de Genève. «Dans une situation de sauvetage, les costumes de bain qui couvrent le torse compliquent la tâche des secouristes, qui doivent découper davantage de tissu en cas de massage cardiaque», explique Felicien Mazzola, porte-parole du département des sports à Genève.
Ce n’est pas aux communes de prendre position, mais aux politiques
Le médecin cantonal du canton de Vaud, Karim Boubaker, lui, a un autre point de vue. «Même à travers une combinaison de ski il est possible de faire un massage cardiaque. Là n’est pas la question. Ce débat est sociétal et il ne faut pas blâmer les communes qui continuent d’appliquer scrupuleusement leur règlement pour éviter tout incident. Ce n’est pas à elles de prendre position, mais aux politiques.»
Des différences de législation
La Ville de Neuchâtel est la seule à avoir légiféré en faveur du burkini depuis 2013. Une décision pionnière reprise par la plupart des communes du canton et qui a été mise en place sous certaines conditions. «Le vêtement doit être en matière synthétique, exclusivement destiné à la baignade, près du corps et découvert au niveau du visage», explique Patrick Pollicino, chef du service des sports de la ville. «Une personne qui porte un slip sous son maillot salit davantage l’eau qu’une personne en burkini. Je ne vois donc pas de raisons de l’interdire.»
L’accès est autorisé à toute personne en maillot de bain. Nous estimons que le burkini entre dans cette catégorie
A la piscine du Lignon, le burkini est également autorisé, sans aucune restriction. «L’accès est autorisé à toute personne en maillot de bain. Nous estimons que le burkini entre dans cette catégorie», explique le magistrat verniolan Yvan Rochat interrogé par la Tribune de Genève.
Yverdon, elle, interdit
A l’opposé, la commune d’Yverdon-les-Bains est la seule à avoir modifié son règlement pour interdire le burkini. C’est en 2013, lorsqu’une élève était venue en cours de natation vêtue de cette tenue, que le débat avait été lancé. Suite à cette polémique, la municipalité a interdit le port «d’autres vêtements qu’un costume de bain, à l’exception des combinaisons de type shorty». Selon Jean-Daniel Carrard, syndic de la commune, «c’est un compromis avec les parents d’élèves musulmans. Depuis, il n’y a jamais eu d’autres problèmes».
Dans les plus petites villes suisses, comme Fribourg ou Delémont, les femmes venant nager en burkini sont très rares. «A Neuchâtel, seulement deux clientes ponctuelles portent ce vêtement», précise Patrick Pollicino.
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En Valais, aux Bains de Saillon, la venue en mars dernier d’une femme en burkini avait provoqué une vague de réactions sur les réseaux sociaux. «Si de tels cas devaient se répéter, il faudrait peut-être ouvrir une plus large réflexion», rapporte le directeur général Jean-Michel Rupp au Nouvelliste.
Nadia Karmous: «Interdire le burkini, c’est isoler les musulmanes»
Pour Nadia Karmous, présidente de l’Association culturelle des femmes musulmanes en Suisse, «il n’y a pas de raisons d’interdire le burkini car il est dans la même matière que le costume de bain.». Elle ajoute que «ces religieuses ne sont pas extrémistes puisqu’elles acceptent déjà de nager avec la population. La population suisse est amenée à vivre ensemble, il faut que tout le monde soit à l’aise. Interdire le burkini, c’est isoler les femmes musulmanes.»
Les décisions au cas par cas stigmatisent les femmes musulmanes
Au cœur du débat, les communes sont incommodées. Une situation que redoutait Josef Zisyadis. Depuis plus de 20 ans, cet ancien parlementaire vaudois propose de créer une commission fédérale des religions, destinée à intégrer des experts non religieux dans le dialogue. Une suggestion, qu’il a lancée à plusieurs reprises au Conseil national, et qui a toujours été refusée par le gouvernement. «Si une telle commission existait, la question du burkini aurait été traitée en amont sur le long terme. Les décisions au cas par cas comme aujourd’hui auraient pu être évitées, ainsi que la stigmatisation des musulmans par les partis populistes.»
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