En approuvant mercredi un rapport de près de 200 pages qui fait le tour de la question de l’impact économique et social de la révolution numérique, le Conseil fédéral maintient sa position stratégique définie en avril 2016. A savoir: la Confédération n’interviendra pas directement, financièrement ou en créant un service administratif ad hoc, dans le processus de numérisation de l’économie. Les changements législatifs, s’il doit y en avoir, seront le plus légers possible.

Les mots-clés de ce changement radical des modèles économiques sont par exemple Uber dans les transports, Airbnb dans le logement touristique, l’impression robotisée en 3D pour l’industrie ou les particuliers, l’interconnexion d’objets intelligents, la coordination d’opérations à l’aide de drones, les plateformes de financement participatif (crowdfunding), ou l’utilisation massive de données (Big Data), notamment par les géants américains de l’internet.

«Une chance et un énorme défi pour l’économie suisse»

«La numérisation de l’économie constitue une chance et un énorme défi pour l’économie suisse», constate Johann Schneider-Ammann, chef du Département fédéral de l’Economie. Le conseiller fédéral se dit conscient de l’impact de cette mutation, sur le marché du travail par exemple. «Ce développement du numérique est révolutionnaire et cela coûtera des emplois, mais de nouveaux emplois seront aussi créés», note-t-il.

Les auteurs du rapport passent en revue les différentes études à ce propos. La société de conseils Deloitte a par exemple calculé que 48% des emplois en Suisse risquent d’être automatisés à cause de l’intelligence artificielle, soit la capacité d’apprentissage des robots. D’autres études sont nettement moins alarmistes et évaluent, en Allemagne, le potentiel de substitution entre 12 et 15%. «Pour la Suisse il devrait se situer dans un même ordre de grandeur», notent les auteurs du rapport qui émane de l’administration fédérale, en particulier du secrétariat d’Etat à l’économie (Seco) et du secrétariat d’Etat à la formation, à la recherche et à l’innovation (Sefri).

Une révolution qui se calcule en dizaines de milliards de francs

La quatrième révolution industrielle et économique, soit la numérisation après la mécanisation, l’électrification et l’informatisation représente des dizaines de milliards de francs. Le marché mondial de l’économie basée sur le partage est estimé à 28 milliards d’euros (30,04 milliards de francs). Le tourisme suisse est par exemple directement touché par la plateforme internet Airbnb. En 18 mois, le nombre de lits à louer a triplé pour s’établir à près de 50 000. Une étude de l’observatoire valaisan du tourisme estime que Airbnb a enregistré 2 millions de nuitées en Suisse l’an dernier, soit 5,4% des nuitées dans l’hôtellerie.

Hotelleriesuisse a réagi mercredi en demandant au Conseil fédéral d’établir une égalité de traitement entre les différentes formes d’hébergement. Ce n’est pas du tout l’intention du gouvernement qui estime, globalement, la législation en vigueur suffisante. «L’émergence de nouvelles technologies peut contribuer à réduire les dysfonctionnements du marché et, partant, le besoin de réglementation», estiment les auteurs du rapport qui ajoutent: «Il faut garder à l’esprit que les réglementations étatiques ne sont pas là pour protéger certains acteurs du marché face à de nouveaux modèles d’affaires ou à de nouveaux concurrents». Par contre, un mouvement de déréglementation pourrait être amorcé, au cas par cas. Dans le domaine des transports, le Conseil fédéral et le parlement ont récemment accepté des motions de parlementaires libéraux-radicaux qui demandent l’abolition des règles concernant le tachygraphe et diverses dispositions sur le travail des chauffeurs professionnels.

Aucune mesure concrète du Conseil fédéral

Le rapport ne débouche sur aucune mesure concrète du Conseil fédéral, mais sur de nouveaux rapports, attendus cette année et en 2018, pour éclaircir certains points concernant le droit du bail et la responsabilité du propriétaire en cas de sous-location (cas Airbnb), la politique de la concurrence qui pourrait s’intéresser de plus près aux fusions de petites plateformes internet, les besoins dans le domaine de la formation, et surtout la qualification juridique d’un travailleur dit indépendant mais rattaché à une structure commune de gestion.

Dans le domaine financier (sociétés FinTech), le Conseil fédéral a cependant pris quelques engagements de principe. Un projet, qui sera envoyé en consultation, envisage des allégements du droit bancaire pour les FinTech, par exemple pour favoriser la récolte de fonds selon le mode participatif jusqu’à 1 million de francs.


Catalogue de bonnes intentions

La position du Conseil fédéral en matière de numérisation ne cesse de surprendre. Après le rapport du gouvernement d’avril dernier sur la Suisse numérique qui conclut que la Confédération n’entend pas s’immiscer dans la révolution numérique en marche, c’est au tour d’un second rapport de recommander l’immobilisme.

Des éléments intéressants

Le volumineux document approuvé par le Conseil fédéral contient des éléments très intéressants sur l’état et les perspectives de la révolution numérique en marche. Il pose les bonnes questions, en particulier celles sur les mutations sur le marché du travail, la possibilité de l’économie suisse de répondre à ce défi international, ou les éventuelles distorsions de concurrence par de nouveaux acteurs puissants qui savent habilement jouer avec les réglementations en place et les lois fiscales.

L’un des problèmes les plus épineux à résoudre est celui du statut de faux indépendant. Alors que la France ou l’Allemagne ont décidé de fixer un cadre afin d’éviter la jungle créée par une forme de concurrence déloyale, le Conseil fédéral estime que la Suisse ne doit pas modifier les règles du jeu ou influencer, par un coup de pouce financier ou des initiatives de politique économique, le développement «naturel» de l’économie numérique.

Manque de sens des responsabilités

Tout le monde parle de quatrième révolution industrielle. Lors des trois premières, l’Etat est toujours intervenu pour favoriser la transition et fixer un cadre réglementaire adapté aux nouvelles conditions économiques. L’attitude aujourd’hui passive du gouvernement, qui se borne à élaborer un catalogue de bonnes intentions alors que la compétitivité de la Suisse et sa prospérité économique sont en jeu, indique un dangereux manque de sens de ses responsabilités.

Willy Boder