Le Conseil fédéral annonçait mi-octobre son refus de l’initiative «Pour un congé paternité raisonnable». Selon les sept sages, les quatre semaines proposées par les initiants coûteraient trop cher, mettraient en péril la compétitivité de l’économie et «affecteraient l’organisation des entreprises». C’est désormais au parlement de se prononcer, avant que le peuple n’ait le dernier mot. Aucun contre-projet n’a été proposé. A ce refus d’entrée en matière s’oppose toutefois la réalité du terrain: dans le dernier pays d’Europe sans loi sur le congé paternité, plusieurs centaines de milliers d’hommes en bénéficient déjà.

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La pratique est en effet courante, particulièrement dans le secteur public. Toutes les administrations cantonales du pays – à l’exception d’Obwald et ses 500 fonctionnaires – permettent ainsi à leurs employés masculins d’obtenir un congé supérieur au minimum légal d’une journée. Plus de 100 000 hommes sont concernés. Parmi les plus généreux, Genève offre deux semaines, tout comme Berne, Bâle-Ville et le Valais. Le Jura monte à trois. Dans le canton de Vaud, une semaine est prévue, soit cinq fois le minimum légal. Le programme de législature annoncé mercredi dernier prévoit toutefois une prolongation. Pourquoi?

Rester un employeur attrayant

Présidente du Conseil d’Etat vaudois et cheffe du Département des ressources humaines, Nuria Gorrite invoque avant tout la nécessité de rester compétitif: «Une proportion importante de nos collaborateurs arrive en fin de carrière, nous devons nous aligner sur la concurrence pour attirer la nouvelle génération. Beaucoup d’employeurs, communes, Villes mais aussi les privés, offrent des conditions plus attrayantes que les nôtres.»

La Ville de Lausanne offre en effet quatre semaines, tout comme la Ville de Genève ou encore la commune de Morges. Au manque de compétitivité redouté par le Conseil fédéral, la politicienne soutient qu’un employé est bien plus efficace s’il a la possibilité d’accompagner son épouse après son accouchement. «Les entreprises les plus performantes offrent bien ce genre de prestations», ajoute-t-elle.

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Il est important de ne pas perdre les collaborateurs qui ont une famille

Tristan Cerf, porte-parole de Migros

Le plus grand employeur privé de Suisse, Migros, avec ses 100 000 employés, confirme ces dires. Les jeunes pères y bénéficient de trois semaines de congé paternité assorties, au choix, de deux semaines supplémentaires non payées. Notamment pour rester concurrentiel: «Il est important de ne pas perdre les collaborateurs qui ont une famille», explique Tristan Cerf, porte-parole du géant orange. Il ajoute, en décalage avec Berne, que Migros s’engage ainsi en faveur d’un climat de travail «axé sur la performance».

Si les trois semaines du distributeur sont atypiques, Swisscom, Credit Suisse, UBS ou La Poste offrent également un congé paternité, quoique plus bref: deux semaines. Et la liste ne s’arrête pas là. Selon Travail.Suisse, qui a passé au crible les plus importantes conventions collectives de travail du pays, 600 000 employés bénéficient déjà d’une semaine ou plus de congé paternité en 2017. Soit environ 330 000 hommes selon la répartition hommes-femmes calculée chez les actifs par l’Office fédéral de la statistique.

La question des PME

«Seules les grandes entreprises peuvent se permettre d’offrir un congé paternité d’une ou plusieurs semaines», déclarait en juillet Marco Taddei, responsable suisse romand pour l’Union patronale suisse, lors du dépôt de l’initiative. Président de Travail.Suisse, Adrian Wüthrich donne comme exemple les cours de répétition de l’armée, six fois trois semaines à l’heure actuelle, avec lesquelles les entreprises suisses se débrouillent depuis bien longtemps. Il invoque par ailleurs un rapport du Secrétariat d’Etat à l’économie de 2007, PME travail et famille, dans lequel on peut lire: «Le congé paternité, coûte souvent très peu à l’entreprise, car sa brève durée permet de rattraper les tâches non effectuées».

Entre autres dirigeants de PME, la cheffe du personnel d’une entreprise argovienne de 78 personnes active dans la production de soudeuse y déclare qu’offrir une semaine aux jeunes pères a permis de fidéliser ses collaborateurs. Elle ajoute: «Une solution de compromis est toujours possible.» Il est certain que le Conseil fédéral saura en trouver une si le peuple devait approuver l’initiative populaire dans les urnes.

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