Le Conseil fédéral crée la loi du talion boursière
Marchés financiers
Si la bourse suisse n’obtient pas une reconnaissance illimitée de la part de l’UE, la Suisse fera de même avec les négociants étrangers. Le PLR craint que ce plan B n’incite des sociétés suisses cotées à l’étranger à s’exiler

La mesure est technique, assure le chef du Département fédéral des finances (DFF), Ueli Maurer. Puisque l’Union européenne tarde à accorder à la Suisse l’équivalence boursière illimitée que celle-ci réclame, la Suisse va agir de même avec les négociants européens. Elle est prête à recourir au droit d’urgence prévu par la Constitution pour soumettre les bourses européennes à une procédure d’autorisation si elles veulent continuer de négocier des titres suisses. «C’est notre plan B, c’est un plan défensif visant à protéger l’infrastructure boursière suisse et c’est une mesure technique», a-t-il commenté vendredi.
En début d’année est entrée en vigueur une nouvelle directive européenne sur les instruments financiers (MiFID II) ainsi qu’un règlement (MiFIR). Dans ce cadre, il avait été prévu que la Commission européenne accorde une reconnaissance illimitée à la bourse suisse (SIX), ce qui assurait à celle-ci l’égalité de traitement avec ses concurrentes européennes, en particulier Londres, Paris et Francfort. Lors de sa visite à Berne en novembre 2017, le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, n’avait pas laissé entrevoir le moindre problème à ce sujet. Juste avant Noël, patatras: la Commission annonçait qu’elle ne reconnaissait cette équivalence boursière que pour une année. Elle avait pourtant accordé une équivalence illimitée aux Etats-Unis, à Hongkong et à l’Australie.
Par voie d’urgence
La décision était, déjà, présentée comme technique. Mais personne n’était dupe: pour Bruxelles, c’était un moyen de pression pour faire avancer la conclusion d’un accord-cadre institutionnel entre la Suisse et l’UE. Pris de court, le Conseil fédéral réagissait en menaçant d’établir un lien avec la reconduction de la contribution de la Suisse au fonds de cohésion européen, 1,3 milliard à répartir sur dix ans. Il annonçait aussi qu’il allait contrebalancer cette restriction en relançant l’abolition du droit de timbre.
Début janvier, la bourse suisse et les investisseurs faisaient savoir au DFF et au Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) qu’ils voulaient que la situation soit clarifiée avant l’été. Pour leur planification, ils voulaient connaître assez tôt le sort qui leur serait réservé à partir de janvier 2019. L’enjeu porte sur 70 à 80% du volume traité à la bourse suisse. Or, comme la négociation d’un accord institutionnel piétine toujours, les deux parties aborderont l’été sans avoir trouvé de terrain d’entente. L’UE a déjà fait savoir qu’elle ne réévaluera pas la reconnaissance boursière avant l’automne.
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Le Conseil fédéral a par conséquent décidé vendredi de préparer son plan B. Et de le communiquer. Il se dit prêt à édicter une ordonnance reposant sur le droit d’urgence. Faute de décision définitive de l’UE avant cette date, cette ordonnance entrerait en vigueur au plus tard le 1er décembre et infligerait le même traitement aux banques et négociants étrangers. Ils devraient demander une autorisation à la Finma pour négocier les actions suisses. Les plateformes européennes ne l’obtiendraient pas.
Une balle dans le pied?
Le gouvernement menace ainsi d’appliquer la loi du talion et se défend d’avoir pris une décision politique. «Nous ne voulons pas lier cette question aux autres thèmes en suspens», assure Ueli Maurer, qui précise que le Conseil fédéral rediscutera de la révision du droit de timbre en fin d’année. Mais le simple fait de rendre cette possibilité publique est interprété comme message politique adressé à l’UE. Il faudra encore voir si la manœuvre se révèle efficace. A Bruxelles, une porte-parole a déclaré que la Commission avait pris acte de la décision suisse et que celle-ci espérait toujours conclure un accord institutionnel.
Si ce scénario devait se concrétiser, «les participants aux marchés boursiers devraient décider s’ils négocient les actions suisses selon le droit suisse ou selon le droit européen», précise le secrétaire d’Etat aux questions financières, Jörg Gasser. Ueli Maurer est persuadé que beaucoup opteraient pour le marché helvétique. Il précise que ce plan B a pour but d’éviter que les titres négociés à la bourse suisse ainsi que SIX elle-même ne soient obligés de quitter le pays. Le PLR ne partage pas cet avis: il craint que ce scénario ne pousse les sociétés cotées hors du pays à s’exiler et que, avec ce plan B, le Conseil fédéral ne «se tire une balle dans le pied».