Coronavirus
Ecoutant les scientifiques, le gouvernement durcit les mesures sanitaires en fermant les magasins non essentiels et en imposant le télétravail dans les entreprises. Le monde de l’économie ne cache pas son incompréhension

Chat échaudé craint l’eau froide. Très chahuté par les critiques lors de la deuxième vague du coronavirus alors qu’il avait bien négocié la première, le Conseil fédéral ne veut pas répéter l’erreur qu’il a faite à l’été dernier en sous-estimant le rebond de la pandémie. Ce mercredi 13 janvier, il a pris des mesures préventives plongeant la Suisse dans un «semi-confinement light».
Il a renoncé à décréter le droit d’urgence et à reprendre la main sur les écoles et les stations de ski, qui restent ouvertes sous la responsabilité des cantons. Par contre, il prolonge de cinq semaines la fermeture des restaurants, des lieux de loisirs et de culture jusqu’à fin février. Et il va même plus loin. A partir de lundi prochain, il décrète que le télétravail devient obligatoire et il ferme les magasins ne vendant pas des biens de consommation courante.
Cette fois, les scientifiques de la task force ne pourront pas se plaindre de ne pas avoir été écoutés. Le Conseil fédéral, qui ne s’est pas déchiré et n’a même pas voté selon nos informations, a entièrement suivi les propositions du ministre de la Santé, Alain Berset.
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Le virus britannique qui change la donne
Le prolongement de la fermeture des restaurants et lieux de culture était attendu. Par contre, le durcissement des mesures est une demi-surprise. La veille, l’influente Commission de l’économie et des redevances (CER) du Conseil national les avaient toutes rejetées, tout comme les milieux économiques. Car dans la réalité des faits, les nouvelles sont plutôt positives avec l’arrivée de deux vaccins et une évolution du nombre de cas, soit environ 3000 par jour, en légère baisse. De plus, les hôpitaux ne sont pas débordés. Ce mercredi, 22% des lits de soins intensifs dédiés au Covid-19 sont encore libres, même si la situation est plus tendue en Suisse alémanique qu’en Suisse romande.
Epée de Damoclès
«Mais il y a une mauvaise nouvelle, soit la mutation rapide du virus avec des souches qui sont de 50 à 70% plus contagieuses», a expliqué le ministre de la Santé, Alain Berset. Or, le nombre de cas dus aux nouveaux variants britannique et sud-africain a doublé en une semaine. C’est la nouvelle épée de Damoclès qui plane sur la Suisse aussi. Le Conseil fédéral redoute donc une courbe en forme de banane: en baisse actuellement, mais probablement bientôt suivie d’une hausse exponentielle telle que la vivent en ce moment le Royaume-Uni et l’Irlande. «Plus on agit vite, plus on renforce les chances de préserver le système de santé et d’éviter une explosion des cas», précise Alain Berset.
Il ne faut dès lors plus se bercer d’illusions: l’apparition de ce nouveau virus rend la troisième vague inévitable. La question n’est donc plus de savoir si elle va arriver, mais quand. D’ici à fin février, tous les épidémiologistes s’attendent à ce que la souche britannique du virus forme la quasi-totalité des nouveaux cas.
Le renforcement des mesures touche aussi bien l’économie que la société dans son ensemble. Le Conseil fédéral rend le télétravail «obligatoire», du moins là où il est «possible à un coût raisonnable», ce qui laisse une marge de manœuvre aux entreprises. Il impose le port constant du masque dans les bureaux où travaillent plus de deux personnes, le respect de la distance physique n’étant plus suffisant. Surtout, il ferme les magasins à denrées non essentielles, même s’il restera possible de retirer des marchandises commandées. En revanche, les magasins d’alimentation et les kiosques pourront rester ouverts le dimanche. Pour ce qui est des réunions privées ou publiques, le Conseil fédéral les limite à cinq personnes, y compris les enfants.
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L’économie fâchée
Comme c’était attendu, le gouvernement n’a pas touché à la souveraineté des cantons sur la question sensible des écoles et des stations de ski, qui toutes avaient été fermées en mars dernier. «Nous faisons confiance aux cantons», a dit Alain Berset. «Ce n’est pas une priorité en ce moment», a ajouté Guy Parmelin en espérant que les directeurs cantonaux de l’Instruction publique sauront trouver des mesures ciblées pour éviter de prétériter la formation des enfants défavorisés socialement.
Quant au conseiller d’Etat et chef zurichois des Finances Ernst Stocker, plus porté sur les questions économiques que pédagogiques, il a remercié le Conseil fédéral «de suivre sur ce thème un chemin pragmatique, car la fermeture des écoles pénalise fortement l’économie en obligeant de nombreux parents à rester à la maison.»
Si la gauche salue le durcissement des mesures sanitaires, l’UDC et les milieux économiques sont particulièrement fâchés par des décisions qui «frappent durement l’économie», selon l’association faîtière Economiesuisse. Celle-ci déplore la fermeture des magasins non essentiels «qui pose des problèmes majeurs» et l’obligation du télétravail jugée «disproportionnée».
L’USAM fustige, quant à elle, «des mesures ne reposant pas sur des données sanitaires probantes, les nouveaux cas de coronavirus étant en légère baisse». Quant à l’UDC, qui avait réclamé qu’Alain Berset soit privé de ce dossier, elle ne décolère pas: «Au lieu de protéger les groupes à risques, le gouvernement tourmente la majorité de la population qui peut parfaitement travailler et vivre avec des concepts de protection.»