C’est la plus vieille injonction du Tribunal fédéral restée sans suite: depuis 1984, la haute autorité juridique attend du pouvoir politique qu’il corrige l’inégalité de traitement fiscal qui pénalise les couples mariés disposant d’un double revenu par rapport aux concubins. Si aucun consensus n’a jamais pu être trouvé, c’est parce que deux camps antagonistes d’ampleur quasiment égale s’opposent. D’un côté, ceux qui défendent la famille traditionnelle tiennent à l’imposition commune du couple et préconisent d’appliquer aux revenus additionnés un taux plus favorable que ce que prévoit le barème. Ce camp réunit l’UDC, le PDC et le Parti évangélique. Et les cantons, qui ne souhaitent pas changer de système pour des raisons administratives.

L’autre favorise l’imposition individuelle, plus adaptée à l’évolution de la société. Il regroupe le PLR, le Parti vert’libéral, le PBD, le PS et les Verts. Or la progression des Verts et des Vert’libéraux a modifié le rapport de force au Conseil national. Mercredi, une majorité claire de 113 voix contre 80 a ainsi décidé, comme l’a déjà fait le Conseil des Etats en automne, de renvoyer au Conseil fédéral sa dernière proposition en date, qui prévoit un double calcul pour les couples mariés. Selon cette formule, l’administration fiscale devrait additionner les deux revenus du couple, calculer l’impôt de deux manières – conjointement et séparément – et appliquer le taux le plus favorable. Présenté comme un compromis, ce modèle n’est toutefois soutenu que par le PDC, le PEV et l’UDC.

Une épée de Damoclès

Le Conseil fédéral devra réétudier l’imposition individuelle. Cette solution incite mieux les membres d’un couple à exercer tous les deux une activité lucrative. «En raison de la progressivité marquante de l’impôt fédéral direct, le salaire du conjoint – il s’agit de fait encore souvent de la femme – est versé quasiment intégralement au fisc», se désole Olivier Feller (PLR/VD). «L’imposition individuelle permet aux femmes qui le désirent de travailler ou d’augmenter leur temps de travail», ajoute Isabelle Chevalley (PVL/VD). Elle tient aussi compte de l’évolution de la société. «Ce n’est pas à l’impôt de dicter notre mode de vie», décrète la députée vaudoise.

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Le Conseil fédéral sera aussi invité à se pencher sur le modèle du quotient familial en vigueur dans le canton de Vaud. Celui-là estime la capacité économique selon leur taille. Il applique au revenu imposable un diviseur différent pour les célibataires, les couples mariés et les contribuables ayant des enfants à charge.

Le gouvernement a intérêt à agir vite. Car une épée de Damoclès plane sur ce dossier. En avril 2018, le TF a invalidé le vote sur l’initiative populaire du PDC. Rejetée de justesse, elle voulait supprimer la pénalisation du mariage mais définissait celui-ci comme étant l’«union durable d’un homme et d’une femme». Jugeant que la population avait mal été informée sur le nombre de couples concernés – 700 000 et non 80 000 –, le TF a annulé le scrutin. La population devrait en principe s’exprimer une seconde fois, au plus tard le 27 septembre 2020. Mais l’initiative peut encore être retirée.