Machine arrière, toute. Le Conseil fédéral désirait étendre les possibilités d’exportation de matériel de guerre aux pays en conflit interne, il n’en sera rien. «La réforme ne bénéficie plus du soutien politique nécessaire et pourrait avoir des effets contre-productifs sur la pratique actuelle en matière d’autorisation d’exportation», s’est justifié le gouvernement ce mercredi. Histoire d’un fiasco gouvernemental.

Vendre du matériel à condition qu'il ne soit pas utilisé

Novembre 2017, les chiffres de l’industrie suisse de l’armement sont en baisse. «La base technologique et industrielle nécessaire à la sécurité du pays est en danger», plaident treize entreprises actives dans le secteur, lesquelles demandent un assouplissement des conditions d’exportation à la Confédération. Ruag, Mowag, Rheinmetall et d’autres poids lourds désirent vendre dans les pays en proie à un conflit interne, comme leurs concurrents de l’Union européenne le font déjà.

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Le Conseil fédéral suit rapidement. En juin 2018, il décrète par ordonnance qu’il «sera désormais possible d’accorder une autorisation d’exportation à un pays de destination impliqué dans un conflit armé interne – s’il n’y a aucune raison de penser que le matériel de guerre à exporter sera utilisé dans un conflit armé interne». La société civile, la gauche politique et le CICR rugissent – c’était attendu. Mais des partis plus traditionnels comme le PBD, le PDC et une partie du PLR jugent également que le gouvernement est allé trop loin.

La vindicte populaire

La sanction politique est sévère. Par 97 voix contre 82 et 11 abstentions, le Conseil national accepte en septembre une motion de Martin Landolt (PBD/GL), qui propose de transférer au parlement le pouvoir de fixer les critères d’autorisation d’exportation d’armes et, si nécessaire, de les soumettre au référendum. Le Conseil fédéral, qui disposait jusqu’alors de la prérogative unique de fixer les règles en vigueur dans le domaine, s’engage à attendre le vote final du parlement avant de trancher sur le dossier. Sous pression, il a toutefois manifestement décidé de prendre les devants.

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«C’est une décision raisonnable, dit Martin Landolt. Mais je suis choqué de voir combien de temps ça a pris.» Membre de la «Coalition contre les exportations d’armes dans les pays en guerre civile», qui a réuni 50 000 personnes s’engageant à récolter chacune quatre signatures en prévoyance d’une initiative «de rectification», il juge que sa motion reste indispensable. «Si elle est acceptée au Conseil des Etats, nous retirerons notre projet d’initiative. Dans le cas contraire, nous réunirons formellement les paraphes nécessaires.»

La crédibilité du Conseil fédéral souffre

Cette volte-face gouvernementale intervient alors que, ce dimanche encore, le SonntagsBlick publiait des clichés de fusils suisses dans les mains de soldats saoudiens au Yémen. Cette révélation s’ajoute à une longue liste de déconfitures pour les exportateurs de matériel de guerre suisses, après la découverte de grenades helvétiques en Syrie en septembre et la publication le même mois d’un rapport du Contrôle fédéral des finances épinglant le manque d’efficacité des contrôles suisses à l’étranger.

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«Des transactions non autorisées depuis la Suisse peuvent tout de même se faire via des pays intermédiaires», soulignait par exemple le document. Le meurtre du journaliste Jamal Khashoggi dans un consulat saoudien en Turquie n’aura pas non plus fait les affaires du Conseil fédéral.

Les Verts ont salué ce revirement, ainsi que le PS, qui juge toutefois qu’il est «tardif et insuffisant». Le PDC a également applaudi la décision, tout en qualifiant le comportement du Conseil fédéral dans ce dossier de «préoccupant». Du côté des partisans d’une exportation facilitée, les critiques envers le gouvernement ne sont pas moins acerbes. Président du lobby des armes Pro Tell, le conseiller national UDC Jean-Luc Addor parle d’une «pantalonnade».

«Le Conseil fédéral s’est couvert de ridicule», juge le Valaisan. Outre un manque de cohérence politique, il regrette également la décision finale, qui met selon lui en danger l’avenir de l’industrie suisse de l’armement. «Les conflits ne sont pas provoqués par des armes mais par des intérêts, dit-il. Nous mettons en balance des milliers d’emplois avec une politique de belle âme. Or, la Suisse ne changera pas le monde à elle toute seule.»