L’article 49.3 de la Constitution française permet au Conseil des ministres de faire passer une loi sans l’accord du parlement. Lorsqu’il le présidait, Manuel Valls en a fait usage deux fois, pour la loi Macron et la réforme du marché du travail. Il a ensuite proposé d’abroger cette disposition très critiquée. En Suisse, le Conseil fédéral est en train de déclencher une même vague de protestation avec son propre projet d’article 49.3.

Par un curieux hasard, c’est en effet à l’article 49 alinéa 3 de la loi sur les marchés publics que le Conseil fédéral envisage de restreindre le principe de la transparence en matière d’adjudications publiques. Ces dernières années, plusieurs médias, dont Le Temps, ont fait valoir la loi sur la transparence pour vérifier que les règles d’attribution des mandats publics étaient respectées.

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Les marchés publics représentent des montants considérables: 41 milliards de francs par an, dont 20% pour la Confédération et 80% pour les cantons et les communes. En 2015, l’administration fédérale a acquis à elle seule pour 5,65 milliards de travaux de construction, de marchandises et de services. L’enquête du Temps a cependant démontré que les commandes qui n’ont pas fait l’objet d’appels d’offres publics représentaient une somme d’un milliard durant cette même année. Cela a pu être démontré au terme d’une investigation qui a sollicité plusieurs services fédéraux à plusieurs reprises.

Secrets d’entreprise menacés

Et, apparemment, ça agace. Au point que le Conseil fédéral propose de restreindre cette quête de renseignements. En toute discrétion – le communiqué de presse concernant la révision de la loi publié jeudi n’en fait pas mention –, il souhaite, à l’article 49.3, exclure les documents liés aux procédures d’adjudication du champ d’application de la loi sur la transparence. Il le justifie en soulignant que la procédure prévue par la loi sur la transparence est «souvent coûteuse et gourmande en temps pour l’administration».

Cette limitation a fait bondir le Préposé fédéral à la protection des données, Adrian Lobsiger, qui a levé le lièvre. «Le droit d’accès aux documents officiels accordé à la population et aux médias serait supprimé. Or, ce droit d’accès a permis par le passé de révéler des manquements graves et coûteux pour le contribuable aux principes qui régissent l’adjudication des marchés publics», invoque-t-il. Il s’étonne d’autant plus que cette mesure n’avait pas été proposée dans l’avant-projet mis en consultation et n’a fait l’objet d'«aucune demande» de quiconque.

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On parle ici d’utilisation d’argent public. Ce culte des cachotteries n’est pas sain

Pour l’administration fédérale, «un droit d’accès illimité aux offres et aux contrats conduirait à un échange indésirable d’informations sur les prix et les conditions» et pourrait porter atteinte aux «secrets professionnels, aux secrets d’affaires et aux secrets de fabrication». Le préposé fédéral ne partage pas ce point de vue. De leur côté, les commissions de gestion du parlement ont déjà décidé de se saisir de l’affaire. «Il n’y a rien à cacher. L’argument du secret d’entreprise ne tient pas. Et c’est contraire à l’accord de l’OMC, qui réclame davantage de transparence», s’étonne le conseiller national Dominique de Buman (PDC/FR). «On parle ici d’utilisation d’argent public. Ce culte des cachotteries n’est pas sain», complète Christa Luginbühl, de l’ONG PublicEye.

Marchés électroniques

Pour le reste, la nouvelle loi a pour but d’adapter le droit suisse aux nouvelles règles de l’OMC, qui intègre désormais la passation des marchés par voie électronique. Elle facilite l’accès des entreprises suisses aux marchés des autres Etats signataires de l’accord de l’OMC, qui, selon les estimations de cette dernière, disposerait d’un potentiel supplémentaire de 80 à 100 milliards de dollars par an.

Le projet prévoit quatre types de procédures sont prévues: l’appel d’offres public, la demande de participation, l’invitation (seulement pour les accords non soumis aux accords internationaux, comme l’acquisition d’armes, de munitions ou de matériel de guerre) ou le gré à gré. L’appel d’offres ne peut être exclu que si des droits de propriété intellectuelle, l’urgence d’une acquisition ou la valeur du marché (moins de 150 000 francs) le justifient.