Le Conseil fédéral souhaite des sanctions plus dures notamment en matière de violences sexuelles car «les victimes souffrent souvent longuement et sévèrement des répercussions physiques et psychologiques de l’acte subi». Le projet de révision de la partie spéciale du Code pénal suisse, présenté mercredi après une très longue gestation, reflète les préoccupations de l’opinion publique et des milieux politiques dans ce domaine devenu ultrasensible. En écho à différentes motions parlementaires, le texte propose également d’élargir la notion de viol aux différents actes de pénétration et aux victimes des deux sexes.

«Pas un signe de défiance»

Porté par la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga, le message du gouvernement se veut «un signal adressé aux tribunaux, mais qui ne doit pas être interprété comme un signe de défiance envers eux». Le projet précise d’ailleurs d’entrée de jeu que son but est de «fournir une palette de sanctions qui laissera aux juges toute la marge d’appréciation nécessaire». Cette contradiction montre que la limitation du pouvoir des juges demeure une question délicate. Des craintes ont d’ailleurs été exprimées à ce sujet lors de la consultation et le relèvement de certaines peines dites planchers «a suscité autant de soutien que d’opposition», souligne l’argumentaire.

«Ce projet reflète la volonté du Conseil fédéral, du parlement et de la population de réclamer des peines plus dures. Il est important de mieux protéger les femmes et les enfants, qui peuvent être traumatisés durant toute leur vie par un viol ou un délit d’ordre sexuel», a ajouté Simonetta Sommaruga en conférence de presse.

Terminologie symbolique

Pour agir sur la répression, cette modification propose tout d’abord de doubler la peine privative de liberté minimale encourue pour un viol en la faisant passer de 1 an à 2 ans. Un sursis total restant bien entendu possible dans les deux cas. Le maximum de 10 ans ne change pas. A noter que le viol avec cruauté est déjà puni d’un minimum de 3 ans et d’un maximum de 20 ans, ce qui en fait un des crimes les plus sérieux du Code pénal. Pour tout acte d’ordre sexuel commis sur un enfant de moins de 12 ans, la peine minimale est de 1 an (sauf pour les cas de peu de gravité qui restent à définir) et ce minimum passe à 2 ans en cas de viol.

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Autre changement à valeur essentiellement terminologique et symbolique: la notion de viol ne sera plus limitée à l’acte sexuel imposé par un homme à une femme et impliquant une pénétration vaginale. Les actes forcés (notamment sodomie et fellation commises sur une femme ou sur un homme), qui sont aujourd’hui punis au titre de la contrainte sexuelle avec une peine maximale identique, seront également qualifiés de viols. Des «actes analogues à l’acte sexuel», comme des pénétrations avec le doigt ou tout autre objet mais aussi d’autres gestes, pourront aussi relever du viol. «Il appartiendra au juge de déterminer au cas par cas quels autres actes d’ordre sexuel doivent se rattacher à cette catégorie», souligne le projet du Conseil fédéral. Voilà qui va simplifier les choses.

Du coup, la peine maximale pour la contrainte sexuelle baissera de 10 à 5 ans car cette disposition ne s’appliquera plus qu’aux infractions les moins graves telles que des attouchements, des baisers linguaux ou des frottements. Le minimum (une peine pécuniaire pour ce type d’abus) restera inchangé.

La suppression de l’inceste est abandonnée

Dans le domaine des violences, le projet propose de relever le seuil de la peine pour les lésions corporelles graves, qui passerait ainsi de 180 jours-amendes à 1 an de prison. Autre sujet chaud: ceux qui s’en prendront en groupe à des policiers risqueront une sanction plus sévère. Le minimum passera dans ces cas de 30 à 120 jours-amendes.

D’autres thèmes, qui avaient suscité des débats houleux, sont purement et simplement abandonnés. Le Conseil fédéral renonce ainsi à abroger l’article punissant l’inceste afin de ne pas heurter la morale et de ne pas donner «un mauvais signal» s’agissant de la protection des enfants. L’augmentation des peines de 3 à 5 ans pour l’homicide par négligence est également reléguée aux oubliettes, l’introduction du délit de chauffard ayant permis d’assurer de plus lourdes sanctions à tout le moins dans le domaine routier.

Méfiance et confusion

Les précautions oratoires de la cheffe du Département fédéral de justice et police n’y changent rien. Yvan Jeanneret, professeur de droit pénal à l’Université de Genève, estime que ce projet, en faisant grimper le seuil minimal des peines pour certaines infractions, transpire la méfiance envers les tribunaux: «En voulant restreindre ainsi le pouvoir d’appréciation des juges, on considère à tort que ces derniers ne sont pas capables de prononcer des sanctions adéquates.»

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A chaque réforme, déplore encore ce spécialiste, «on sème encore plus de confusion». Le viol et la contrainte sexuelle sont transformés en des notions très indéterminées et les critères permettant de faire la distinction entre ces infractions sont particulièrement flous, ajoute Yvan Jeanneret. «Tout cela n’est pas très rassurant du point de vue de la sécurité du droit.» Le parlement a du pain sur la planche.