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La Chambre du peuple ne voit aucun avantage à changer le mode d’élection en vigueur. La réflexion consistant à garantir au mieux l’indépendance des juges par d’autres mécanismes a toutefois suscité des avis plus partagés lors de ce premier débat consacré à l’initiative sur la justice

Désigner les juges du Tribunal fédéral par tirage au sort afin de garantir leur indépendance et éloigner le plus possible le critère de l’appartenance politique? Ce sujet hautement sensible – porté par l’initiative populaire sur la justice – était à l’examen du Conseil national ce mercredi. Appelé à prendre position sur l’initiative populaire qui réclame de s’en remettre aux lois du hasard plutôt qu’au principe de l’élection démocratique par l’Assemblée fédérale, le parlement ne semble guère soutenir cet ovni contraire à la tradition helvétique. Plus disputés, un renvoi pour approfondissement voire l’adoption de contre-projets visant à supprimer la réélection en introduisant un mandat unique de douze ans avec possibilité de révocation pour faute grave, ou prônant une sélection plus professionnelle. Aucune décision n’a été prise et les débats se poursuivront le 9 février.
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L’initiative, lancée par un comité citoyen, inspirée par le riche industriel alémanique Adrian Gasser, a recueilli 130 100 signatures valables avant d’être déposée le 26 août 2019. En substance, ce texte veut sonner le glas de l’élection des juges par l’Assemblée fédérale afin de bannir l’affiliation partisane, qui reste très importante dans une sélection soucieuse d’opérer un savant dosage entre équilibre des forces politiques, représentation des sexes, critères linguistiques et formation juridique.
La crainte des pressions
Au nom de la Commission des affaires juridiques, Vincent Maitre (Centre/GE) a été le premier à porter l’estocade contre «une initiative insolite qui part d’un postulat erroné, n’amène aucune plus-value et pose plus de problèmes qu’elle n’en résout». Attachée à une Cour suprême qui reflète l’éventail des forces politiques et des sensibilités, Barbara Steinemann (UDC/ZH) a également appelé au rejet d’un tirage au sort peu compatible avec l’esprit suisse. Son collègue de parti, le Schwytzois Pirmin Schwander, a renchéri tout en ajoutant «que des progrès sont à faire dans le cadre des structures existantes pour améliorer le recrutement et la qualité des juges».
L’attitude de l’UDC, justement, est ce qui motive un contre-projet soutenu par les Verts et les socialistes. En septembre, la réélection difficile du juge Yves Donzallaz – magistrat issu des rangs agrariens et devenu très impopulaire en raison de décisions considérées comme trop infidèles aux idées du parti – donne des arguments à ceux qui souhaitent revoir le système. «Il y a un risque pour l’indépendance. La seule possibilité théorique de non-réélection peut avoir une influence sur le comportement d’un juge», a souligné Sibel Arslan (Verts/BS) en plaidant pour un mandat unique et plus long. Un avis partagé par Baptiste Hurni (PS/NE) pour qui «le système actuel permet des pressions politiques inacceptables».
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«Les questions qui blessent»
Au contraire, a relevé Isabelle Moret (PLR/VD), la réélection du juge querellé montre «que l’Assemblée fédérale a réussi à faire barrage». Toutefois, pour ne pas évacuer «les questions qui blessent» – soit le versement par les juges d’une contribution au parti ou la création d’une commission spécialisée moins politisée –, Beat Flach (vert’libéral/AG) n’a pas souhaité un refus pur et simple de l’initiative, mais plutôt le renvoi en commission pour creuser ces aspects. Un avis partagé par Matthias Aebischer (PS/BE), qui rejette l’initiative tout en saluant un débat qui constitue «une chance pour la démocratie».
Attention aux commissions d’experts, a prévenu de son côté Yves Nidegger (UDC/GE) en citant le processus actuel qui vise à trouver un nouveau procureur général de la Confédération: «La Commission judiciaire a choisi de soumettre les candidatures à des spécialistes externes et elle n’est depuis lors plus capable de désigner quiconque.»
Damien Cottier (PLR/NE) s’est aussi élevé contre «les mauvaises solutions» alternatives consistant à prévoir une sorte d’élection à vie susceptible de déresponsabiliser les juges ou à confier le choix à un comité peu démocratique. Christian Lüscher (PLR/GE) est également d’avis qu’on ne change pas un système qui marche. La meilleure preuve? Comme avocat, il perd 90% de ses recours au Tribunal fédéral alors qu’il siège au sein de la Commission judiciaire qui examine les candidatures des magistrats.
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Situation actuelle
Pour rappel, les membres du Tribunal fédéral sont élus par l’Assemblée fédérale pour une durée de six ans. Ce mandat est renouvelable jusqu’à l’âge de 68 ans.
C’est à la Commission judiciaire du parlement qu’il revient de mettre au concours les postes vacants et de proposer des candidats. Durant l’élection générale qui a lieu périodiquement, la même commission propose la réélection en bloc de l’ensemble des juges qui se représentent après s’être assurée que rien ne met en cause leur aptitude professionnelle.