Sans être battu en brèche, le principe de territorialité auquel est très attachée la Communauté romande du Pays de Fribourg, a subi néanmoins quelques coups de canifs. Entailles qui ne sont pas du goût de l'ancien conseiller d'Etat Félicien Morel, qui représentait le groupe Ouverture. «Le principe de la territorialité est le seul garant de la paix des langues à Fribourg», estime-t-il tout en reconnaissant la nécessité d'un minimum de souplesse. Le socialiste Christian Levrat, qui préconisait de rejeter la notion de frontière flexible, est aussi catégorique: «La frontière, dans un monde pacifié, doit être fixe.» Le radical Denis Boivin est pour sa part plus alarmiste: «Ne pas exprimer explicitement dans la nouvelle Constitution ce principe est une bombe à retardement.»
«Un mur artificiel»
Le constituant alémanique Josef Vaucher tient un autre discours. Pour lui, décréter un territoire linguistique est un non-sens. «L'article 21 de la Constitution fribourgeoise actuelle, adopté en 1991, est un mur artificiel érigé dans le canton», regrette-t-il. Une manière de dire que les deux communautés linguistiques de Fribourg ne souhaitent plus «vivre en parallèle, mais ensemble». Difficile de savoir si l'audition par la commission de Joseph Voyame, spécialiste de la question, aura joué un rôle dans le vote final. Toujours est-il que les constituants ont approuvé trois thèses en bloc: que le principe de territorialité soit formulé différemment et repris selon les termes de la Constitution fédérale, que le canton et les communes veillent à la répartition territoriale traditionnelle des langues et prennent en considération les minorités linguistiques autochtones. Et enfin que le français et l'allemand soient les langues officielles dans les communes mixtes «situées le long de la frontière linguistique».
Dans les discussions, la question du bilinguisme a elle aussi occupé une place importante. Le groupe Ouverture souhaitait simplement que le canton se limite à encourager le bilinguisme. Une large majorité de constituants en a décidé autrement et choisi de faire du bilinguisme un «élément essentiel de l'identité du canton». Ils ont aussi approuvé le français ou l'allemand comme première langue étrangère enseignée. Reste que l'identité bilingue a eu du mal à se faire jour sur le nom de la capitale fribourgeoise dont la population est à 28% germanophone. La proposition de la renommer «Fribourg/Freiburg» a suscité l'ire de plusieurs intervenants francophones dont Michel Bavaud: «On a l'impression de bégayer en le prononçant. Je dirai donc non à ce monstre linguistique.» Les Fribourgeois pourraient donc devoir se contenter d'appeler leur capitale Fribourg, ville bilingue.
Si la plupart des thèses de la commission ont été acceptées, le sujet reste très sensible. Et la proposition des commissaires de fixer comme principe celui de «trouver des solutions pragmatiques dans les questions linguistiques» est emblématique. Et pour de nombreux constituants, qui l'ont refusé, un «cheval de Troies» pour des solutions inacceptables.