Canton le plus endetté de Suisse, Genève va se doter d’un nouveau garde-fou pour canaliser ses finances publiques. Le parlement cantonal s’apprête à inscrire dans la loi un mécanisme qui rendra plus difficile le vote d’investissements, complétant le dispositif existant qui affecte le seul niveau des budgets et comptes de fonctionnement. Le nouvel outil sera adopté dans le cadre d’une révision globale de la loi cantonale sur la gestion administrative et financière de l’Etat, qui a déjà passé la rampe en commission parlementaire de contrôle de gestion et sera évaluée en plénière cet automne.

Les modalités du nouveau frein sont disputées. L’enjeu est majeur: Genève doit tout à la fois maîtriser sa dette, alors que les perspectives sont plutôt sombres pour les revenus de l’Etat, et combler son retard en matière d’investissements: trams à rebâtir, réseau ferroviaire rachitique, prisons saturées, écoles exiguës ou chancelantes.

Le canton a déjà légiféré pour prévenir un dérapage de ses budgets et comptes de fonctionnement. Ceux-ci regroupent les charges courantes de l’Etat (salaires, subventions, etc.). Les investissements (bâtiments, etc.), eux, sont comptabilisés séparément car ils ne font pas qu’alourdir les charges, mais ils augmentent aussi la fortune de l’Etat. Concernant le fonctionnement, un budget déficitaire ne peut être adopté que par une majorité absolue des députés (51 voix sur 100), et non par une simple majorité des députés présents. De plus, si deux comptes annuels sont dans le rouge, la loi exige du peuple qu’il tranche entre des baisses de prestation et des hausses d’impôt d’un montant équivalent, à moins que le retour à l’équilibre ne semble assuré pour l’exercice suivant. La commission parlementaire a retouché ce mécanisme: le frein n’interviendrait qu’après trois exercices dans le rouge, mais sans possibilité de dérogation.

La grande innovation porte sur les investissements, aujourd’hui débridés. Le PLR a exigé un garde-fou sur ces dépenses qui, si elles ne sont pas autofinancées grâce aux excédents de fonctionnement, exigent d’emprunter et aggravent donc la dette. D’autres cantons possèdent déjà des outils de ce type. Certains exigent un taux d’autofinancement, d’autres plafonnent les investissements une fois atteint un ratio entre la dette cantonale et le produit intérieur.

Au vu de la volatilité des revenus genevois, liée à une économie très sensible aux soubresauts mondiaux, le Département cantonal des finances a préféré suggérer des seuils d’endettement exprimés en francs, à partir desquels l’adoption des investissements deviendrait plus difficile. Ces contraintes resteraient valables tant que la dette ne serait pas ramenée à un montant équivalant aux revenus annuels de l’Etat. A noter que cette règle ne s’appliquerait pas aux crédits de ­renouvellement (remplacement d’un parc informatique, rénovation d’édifices existants). L’idée prévaut que retarder des réfections finit souvent par coûter très cher, un bâtiment négligé se ruinant rapidement.

L’administration a proposé trois paliers de contrainte, fixant le premier à une dette de 12,5 milliards de francs, correspondant à un quart du produit intérieur cantonal. Ce seuil, qui peut sembler astronomique, est en passe d’être franchi: fin 2012, l’ardoise genevoise atteignait 11,9 milliards et les investissements en cours se font à crédit. Le département prônait que dès ce premier palier, la majorité absolue du parlement (51 voix, quel que soit le nombre d’absents) soit requise pour voter un projet. Mais, à l’initiative de la droite populiste, une majorité de commissaires a exigé deux tiers des voix du parlement (67 sur 100); ensuite, dès que la dette atteindrait 16 milliards, tout investissement serait soumis au peuple.

Ce tour de vis inquiète le PLR Ivan Slatkine, auteur de l’un des rapports de minorité: «Il faut veiller à ne pas figer l’Etat en l’empêchant d’investir, argue le député. Il y a des besoins réels et des projets vraiment urgents, notamment en matière scolaire. Des mesures trop contraignantes forceraient à abandonner des chantiers en cours. Paralyser l’Etat serait aussi grave que de l’endetter.»

Le débat-fleuve sur le budget 2013 a montré la difficulté de réunir 51 voix au Grand Conseil. Aux yeux du libéral, une majorité des deux tiers semble inaccessible dans un hémicycle divisé en trois blocs et qui risque de se polariser davantage durant la prochaine législature avec le probable retour de l’extrême gauche lors des élections du 6 octobre. Ivan Slatkine propose de préférer un premier palier à 12,5 milliards avec une majorité de 51 voix, puis une majorité des deux tiers dès 14,5 milliards et enfin le référendum obligatoire dès 16,5 milliards.

Il a l’espoir d’être suivi. Le PDC se rallie à cette option, comme le confirme la députée Anne-Marie von Arx-Vernon. Les Verts n’ont pas encore pris de décision formelle, mais sont ouverts: «Nous voulions nous assurer que les minorités soient associées aux décisions, afin d’éviter que l’Etat ne fasse que des prisons et plus jamais de trams, explique Sophie Forster Carbonnier. Mais nous redoutons aussi un blocage.» Les écologistes pourraient ainsi suivre les libéraux, moyennant un relèvement des différents paliers d’un demi-milliard. «Je peux vivre avec cela», signale Ivan Slatkine.

Les socialistes déposeront un rapport opposé au principe même du nouveau frein: «Le canton risque de se priver de toute marge en cas de crise», argue Lydia Schneider Hausser. Elle met sur le compte des «aléas des commissions» le fait que le candidat PS au Conseil d’Etat Roger Deneys, lors d’un remplacement en commission, ait voté le durcissement du frein, avec la droite populiste.

Cette dernière risque de se retrouver seule avec sa version dure du frein. «Notre politique a toujours été la même, argue le MCG Eric Stauffer. En temps de vaches maigres, il faut réaliser l’indispensable, décaler le nécessaire et éliminer le superflu. Le contribuable en a assez de la valse des millions dilapidés en futilités.»

«Il y a des besoins réels et des projets vraiment urgents. Paralyser l’Etat serait aussi grave que de l’endetter»