«Arnaque en milliards, nous payons et les grands actionnaires en profitent!» Les opposants à la réforme de la fiscalité des entreprises (RIE III) ont largement basé leur campagne sur la «défense de la classe moyenne», leur principal slogan. A commencer par le Parti socialiste suisse (PSS) de Christian Levrat, qui a fait de la votation du 12 février la «mère des batailles».

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L’argument a porté, si l’on en croit les derniers sondages avant le scrutin. La position des partisans, qui étaient partis gagnants, s’est progressivement effritée. Selon le second sondage gfs/SSR, les deux camps sont au coude à coude. Le rejet a augmenté notamment chez les ménages dont le revenu mensuel se situe entre 5000 et 7000 francs.

«Cette fois, il semble que l’argument de la classe moyenne soit efficace, précise Claude Longchamp, directeur de l’institut gfs.bern. Il influence nettement les intentions de vote. On le retrouve beaucoup aussi dans l’électorat des villes, où les discours des responsables des finances ont porté.»

Depuis une dizaine d’années, tous les grands partis font régulièrement référence à la classe moyenne, en promettant de la défendre. Cela ne marche pourtant pas toujours. Dernier échec en date: l’initiative par laquelle le PDC voulait modifier le régime fiscal au bénéfice des familles de classe moyenne.

«Une vraie révolte des classes moyennes»

«L’argument porte parce qu’il est vrai, c’est une vraie révolte des classes moyennes» s’enthousiasme Roger Nordmann, chef du groupe socialiste des Chambres fédérales, qui préfère utiliser l’expression au pluriel. Le taux effectif d’imposition des entreprises est à la baisse ces dernières années et dix-huit cantons ont des programmes d’assainissement, affirme le parlementaire. Les électeurs des classes moyennes, dont le pouvoir d’achat est rongé par l’assurance maladie, voient bien qu’ils paieront la réforme d’une manière ou d’une autre.

«Ce qui ne veut pas encore dire qu'ils soient tous devenus socialistes, ajoute Roger Nordmann. Mais ce refus de la classe moyenne, nous le percevons au quotidien dans la campagne, même de la part de ménages disposant de 9000 francs par mois. Quant aux PME, la plupart ne font pas de bénéfice et leurs patrons craignent d’être rattrapés par une hausse de l’impôt sur les personnes physiques.»

Reste que cette «défense de la classe moyenne» est d’abord un slogan. Il n’y a pas de lien de cause à effet entre une baisse des recettes fiscales et des hausses de l’impôt sur les personnes physiques, lesquelles, si elles devaient être proposées, pourraient toujours être combattues par référendum. Quant aux réductions éventuelles des prestations publiques, comme l’horaire scolaire rétréci à Lucerne, un exemple souvent cité, elles ne cibleraient pas spécialement la classe moyenne.

«Classe moyenne également touchée en cas de non»

C’est ce qu’ont tenté de rétorquer les partisans de la réforme. Mais avec difficulté, dans une campagne plutôt marquée par les dissidences de personnalités bourgeoises comme Eveline Widmer Schlumpf. «La RIE III est favorable à l’économie et aux PME, assure Jean-François Rime, président de l’Union suisse des arts et métiers (USAM). En cas de non, la classe moyenne sera également plus touchée que les hauts revenus, elle qui fournit souvent les emplois non directement liés à la production.»

«Les PME ont du travail tant que le contexte est favorable aux grandes entreprises, je l’ai vécu à Ste-Croix», ajoute l’argentier vaudois Pascal Broulis, assurant qu’il n’y a dans son canton «ni hausse d’impôt prévue ni plan de coupes caché.» Le gouvernement vaudois compte sur la compensation fédérale prévue dans la RIE III pour financer les mesures sociales contenues dans la RIE III vaudoise approuvée à 87% en 2015.

Le sondage réalisé par gfs pour la SSR montre, en date du 22 janvier, 45% de oui pour 44% de non au niveau des intentions de vote. Selon le second indicateur, qui regroupe les arguments testés, le «oui» reste un peu plus fort: 48% contre 42% de non, sans donc que la majorité soit atteinte. Ce qui montre, selon Claude Longchamp, qu’un vote rationnel pourrait avantager le «oui», alors que l’émotion serait plus favorable au non.

Des Gripen à la RIE III

Il faut remonter à mai 2014 et à la votation sur l’acquisition de 22 avions de combat Gripen pour trouver un pronostic aussi serré. Pour Claude Longchamp, les rapprochements sont multiples entre les deux situations: clivage gauche-droite marqué, minorité bourgeoise pour le non, critiques sur le style et le contenu informatif du message des partisans. Le peuple a dit non aux Gripen, mais le politologue se refuse à en tirer une conclusion pour le 12 février.


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