Les jeux sont faits et la balle est désormais dans le camp du parlement. Le Conseil fédéral a adopté mercredi le message en vue de l’approbation de la nouvelle convention franco-suisse de double imposition en matière de successions, ouvrant ainsi la voie au processus de ratification par les Chambres de ce texte hautement controversé, particulièrement en Suisse romande.

Dans la ligne qu’il a toujours défendue contre vents et marées – le Secrétariat d’Etat aux questions financières internationales avait même tenu à convoquer la presse au début du mois d’août pour dérouler son argumentaire en faveur de ce texte –, le gouvernement persiste et signe en espérant convaincre une majorité de parlementaires de ratifier la convention.

Changement de paradigme complet par rapport à la convention de 1953 actuellement en vigueur, la nouvelle convention consacre pour la France le droit d’imposer la succession d’un défunt domicilié en Suisse si ses héritiers résident en France. Y compris les biens immobiliers situés en Suisse. Ce droit d’imposition est néanmoins secondaire: il suppose pour la France d’octroyer à ses contribuables un crédit d’impôt sur les impôts payés en Suisse. Par rapport au premier projet de convention paraphé en 2012 et révélé par «Le Temps» – le texte avait déclenché un véritable tollé en Suisse romande –, la Suisse a toutefois obtenu ici une «adaptation ponctuelle»: l’héritier d’un défunt domicilié en Suisse doit avoir résidé en France pendant huit ans au moins au cours des dix années précédant le décès pour que la France puisse imposer la succession.

«Une convention à sens unique»

Autre changement notable, et relativement peu contesté, les biens immobiliers détenus en France par un résident Suisse seront imposables par la France même s’ils sont détenus via une société immobilière. Seconde «adaptation ponctuelle» obtenue par la Suisse: pour qu’ils soient imposables en France, ces biens immobiliers doivent constituer au minimum un tiers de la valeur de la société, qui doit être détenue à 50% au moins par le défunt ou sa famille. En d’autres termes, les immeubles détenus en France via une société strictement commerciale continueront d’échapper à l’impôt français.

Troisième modification de taille par rapport au régime en vigueur: en cas de double domicile, le critère retenu pour déterminer le domicile fiscal – celui du centre des intérêts vitaux – comprend désormais les «liens économiques les plus étroits». Selon l’avocat fiscaliste Philippe Kenel (LT du 10.08.2012), «c’est fondamental. La France pourra considérer qu’un résident suisse a son domicile fiscal en France s’il y possède encore une entreprise. Jusqu’à présent, ce critère n’était pas pertinent.»

Le Conseil fédéral en est conscient: «vendre» cette nouvelle convention aux parlementaires ne sera pas chose aisée. Alors que la Conférence des directeurs cantonaux des finances avait approuvé le texte lors de la procédure de consultation au printemps 2012, la Conférence latine a fourbi ses armes depuis, dénonçant «une convention à sens unique imposée par la France». Nombre de ténors du camp bourgeois ont également pris position contre la convention, prévenant qu’ils n’accepteraient jamais de la ratifier. Un référendum des cantons a même été annoncé par un quarteron de députés cantonaux, emmenés par le libéral-radical valaisan Philippe Nantermod, au cas où le texte serait ratifié par le parlement. Enfin, le Conseil national a accepté en juin une motion demandant l’interdiction de l’imposition par un Etat tiers de biens immobiliers situés en Suisse. Pour tous ces opposants, la convention est une atteinte à la souveraineté nationale, qui importe une logique fiscale française en droit suisse, crée un dangereux précédent et assassine le contribuable suisse.

Sur le terrain technique, Philippe Kenel, farouche opposant au texte, brandit l’article 784 A du Code général des impôts français: «En France, même sans convention, les impôts sur les successions payés à l’étranger sont déductibles! A la différence que, sans convention, l’héritier pourra seulement déduire les impôts payés à l’étranger sur les biens situés à l’étranger, alors qu’avec une convention il pourra aussi déduire ce qu’il a payé sur les biens situés en France.» Et de rappeler que le risque de double imposition est ténu, nombre de cantons n’imposant pas les successions en ligne directe.

«La moins mauvaise solution»

Fi donc, tranche le Conseil fédéral. S’il reconnaît que le nouveau régime «alourdit dans certains cas la charge fiscale des contribuables concernés», il estime qu’il s’agit de «la moins mauvaise des solutions puisqu’elle garantit la sécurité juridique et apporte des avantages par rapport à une situation sans convention». Le gouvernement répète également que «la conclusion de cette nouvelle convention contribuera à la création d’un climat bilatéral favorable pour d’autres dossiers fiscaux que la Suisse et la France souhaitent traiter».

Les joutes parlementaires s’annoncent fleuries autour du texte de la discorde. Comme par anticipation, le Conseil fédéral a cru bon de répéter à plusieurs reprises dans le message adopté mercredi que c’est bien la France qui est à l’origine de ce changement de régime: le grand voisin souhaitait dénoncer purement et simplement la convention en vigueur et la Suisse est parvenue à lui faire accepter une renégociation. Dans ce contexte, se défend en substance le Conseil fédéral, la France tenait le couteau par le manche et la Suisse ne peut que se contenter d’avoir obtenu quelques aménagements par rapport au premier projet.

Pour couper l’herbe sous le pied de ses détracteurs, le Conseil fédéral inclut encore dans son message un long argumentaire détaillé de la convention, article par article, ainsi que quelques «brèves considérations» sur d’autres conventions signées par la Suisse avec neuf autres pays. Ce qui n’a rien d’anodin: nombre d’opposants au texte s’appuient sur la convention avec l’Allemagne (qui date de 1978) pour souligner que si l’Allemagne dispose du même droit secondaire d’imposition de la succession d’un résident suisse quand ses héritiers sont domiciliés en Allemagne, la clause exclut expressément les ressortissants helvétiques. Une exception que le Conseil fédéral confesse ne pas avoir pu obtenir dans le cas français, puisqu’«une exception fondée sur la nationalité ne correspond pas aux règles du droit fiscal international».

Un dernier point risque de susciter une levée de boucliers contre le nouveau texte. Le protocole additionnel à la nouvelle convention «adapte le système de l’échange de renseignements aux normes du standard international». En clair, il consacre l’acceptation par la Suisse des demandes groupées du fisc français. Et ce y compris pour des domaines d’imposition qui sortent du cadre strict des successions. Les souverainistes les plus farouches ne manqueront pas d’y être très attentifs.