Cette fois, c’est la bonne. Dimanche 17 juillet le comité de l’Unesco était encore réuni à Istanbul pour la 40e session du Patrimoine mondial. Au cœur de la capitale turque, dans un climat que l’on imagine sous haute-tension, il annonçait par twitter l’inscription d’une partie de l’œuvre de Le Corbusier. La candidature de l’architecte suisse avait déjà été proposée en 2009 et en 2011, mais à chaque fois avait été retoquée. L’organisation des Nations unies reprochait au dossier emmené par la France, la Suisse, l’Allemagne, l’Argentine, la Belgique et le Japon de retenir un trop grand nombre de sites.

Il pointait aussi l’absence du projet de Chandigarh en Inde qui reste le grand œuvre d’urbanisme de l’architecte suisse. Les pays concernés avait donc revu leur copie, réduit la liste des prétendants – en retirant notamment les constructions les plus anciennes (la «Maison blanche» (de 1912 et la «Villa Schwob» de 1916, toutes les deux à La Chaux-de-Fonds – et corrigé l’oubli. L’ajout de Chandigarh a sans doute permis au dossier de finalement passer la rampe devant le Conseil international des monuments et des sites (Icomos) chargé d’expertiser les dossiers.

Appartement-témoin

En tout ce seront 17 parmi la cinquantaine de réalisations de Charles-Edouard Jeanneret (de son vrai nom) qui seront définitivement protégées. Sans surprise, c’est en France, où l’architecte a mené l’essentielle de sa carrière, que se trouve le plus grand nombre de bâtiments classés dont la Cité Radieuse de Marseille, l’Église de Ronchamp, le quartier Firminy-Vert près de Grenoble et le couvent de la Tourette. En Suisse, la petite villa «Le Lac» construite par Le Corbusier pour ses parents en 1923 à Corseaux près de Vevey et l’immeuble Clarté à Genève de 1930 figurent dans la liste.

«Pour Genève, cette inscription soutient aussi le travail de préservation déjà fait. La Ville a classé le bâtiment Clarté au titre de monument historique il y a 30 ans», s’est félicité à l’ATS Rémy Pagani, chef du département des constructions et de l’aménagement, qui se trouvait à Istanbul pour défendre le dossier. Lequel annonçait dans la foulée la volonté du Conseil municipal de racheter avec l’aide de la Confédération un appartement de cet immeuble qui avait failli être rasé dans les années 70 pour en faire un lieu de visite.

Les pros et les antis

L’Office fédéral de la culture s’est également réjoui de la nouvelle dans un communiqué après plus de dix ans de travail et deux échecs. «L’œuvre de Le Corbusier est une contribution majeure au Mouvement moderne. Entre 1910 et 1960, ce courant novateur déclenche un débat à l’échelle mondiale sur le rôle de l’architecture. Il est également à l’origine d’un nouveau vocabulaire architectural, a modernisé les méthodes de construction et a cherché à répondre aux besoins de la société moderne». Un débat qui est loin d’être clos entre les partisans farouches de cette architecture novatrice par l’utilisation de nouveau matériau et son organisation du logement collectif et ceux qui s’y opposent en dénonçant l’échec de son ambition sociale.

Depuis quelques années, c’est aussi la personnalité de Le Corbusier, et notamment son attitude pendant la guerre, qui suscitent la polémique. La grande rétrospective organisée au Centre Beaubourg l’année dernière à l’occasion des 50 ans de sa mort avait ainsi vu la publication de plusieurs ouvrages portant sur le comportement ambigu de l’architecte dans une Europe sous autorité fasciste.

Avec cette inscription, Le Corbusier rejoint d’autres architectes au Patrimoine mondiale de l’Humanité. Comme Walter Gropius, le créateur du Bauhaus et autre initiateur du mouvement moderne, mais aussi Auguste Perret, le reconstructeur du Havre, et le Brésilien Oscar Niemeyer (sa cité-jardin de Pampulha à Belo Horizonte vient aussi d’être classée) dont les œuvres sont désormais sous la protection de l’Unesco.