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Cornelio Sommaruga: «HEI n'est pas en crise»

En plein processus d'évaluation, l'établissement universitaire genevois pourrait faire l'objet d'une réorientation stratégique importante. Président intérimaire du conseil de fondation de HEI, Cornelio Sommaruga, ancien président du CICR, livre au «Temps» son analyse de la situation.

Depuis ce printemps, l'Institut universitaire de hautes études internationales (IUHEI) est en plein processus d'évaluation (Le Temps du 19 juillet). Confronté à une vive concurrence internationale et suisse, mais aussi à des problèmes de gouvernance cristallisés dans son incapacité à nommer un nouveau directeur, l'établissement de la Villa Barton entend s'appuyer sur les résultats de cet audit mandaté par la Confédération et le canton de Genève pour échafauder une nouvelle stratégie. Président intérimaire du conseil de fondation de l'IUHEI, Cornelio Sommaruga, ancien président du CICR, livre au Temps son analyse de la situation.

Le Temps: Le 10 août prochain, des «peers», soit six experts suisses, français et américains issus du monde académique et diplomatique vont remettre leur rapport d'audit de l'Institut de hautes études internationales. Aujourd'hui, comment appréciez-vous ce travail d'évaluation?

Cornelio Sommaruga: Cette évaluation prospective, et j'insiste sur l'adjectif, est essentielle pour l'Institut. Elle devrait nous fournir de précieux enseignements sur les problèmes de gouvernance et sur les conséquences du processus de Bologne ainsi que sur la stratégie d'avenir et les relations de l'Institut avec l'Université de Genève.

– Quelle est la première impression des six experts?

– Elle a été positive. Les six experts, bien préparés, ont néanmoins décelé divers problèmes liés à la gouvernance de l'institution, mais aussi au cloisonnement des sections qui forment l'IUHEI. Je ne vous cache pas non plus qu'avec les experts, on a discuté de l'absence de directeur attitré à la tête de l'Institut. Mais aussi de la procédure de nomination du directeur.

– Depuis le départ de Jacques Freymond en 1978, les successions ont souvent donné lieu à des psychodrames. La procédure de nomination est-elle inadaptée?

– Une disposition précisait qu'il incombait au conseil de fondation de procéder à cette nomination. Les universités ont d'autres procédures. L'évaluation permettra d'apporter des changements si nécessaire. Une chose est sûre. Nous avons essayé d'impliquer les professeurs dans la démarche, cela n'a pas été nécessairement un succès.

– Vous avez évoqué des problèmes de gouvernance à l'Institut…

– Le statut du conseil de fondation est complexe. C'est une fondation de droit privé, mais l'influence étatique y est pourtant très forte. La nomination des membres du conseil est particulièrement compliquée. Imaginez, hormis les membres ex officio tels que le recteur de l'Université de Genève ou le chef du Département fédéral des affaires étrangères, les propositions de nomination doivent être formulées par le Département genevois de l'instruction publique, qui les soumet au Conseil d'Etat. Puis intervient le Département fédéral de l'intérieur, qui en réfère au Conseil fédéral. Personnellement, je pense que la cooptation est nécessaire. Elle permet d'aller chercher la personne qui convient. Sans quoi, on perd toute la spontanéité qui découle d'une institution de droit privé.

– Le conseil de fondation de HEI a connu plusieurs démissions, celles de Jean-Pierre Roth, directeur de la Banque nationale, ou encore de Klaus Schwab, directeur général du World Economic Forum. Certains avancent même que Juan Somavia, directeur général du Bureau international du travail, serait sur le départ. Que s'y passe-t-il?

– Il y a du nouveau au sein du conseil de fondation. Micheline Calmy-Rey, cheffe du Département fédéral des affaires étrangères, a nommé Walter Füst pour y siéger, en remplacement de l'ambassadeur Nicolas Michel. Il serait aussi bien de nommer, en plus de Rosemarie Simmen, ancienne conseillère aux Etats, un membre actuel des Chambres fédérales, car, à ce jour, beaucoup de parlementaires connaissent insuffisamment l'Institut. Enfin, la fonction du président du conseil de fondation doit être redéfinie.

– De quelle manière?

– Je suis d'avis qu'à l'avenir le président du conseil de fondation doit assurer une forte présence politique, notamment dans les relations extérieures de l'Institut, sans interférer dans les affaires académiques. Avec le futur directeur, il devra constituer un véritable tandem qui se complète.

– L'audit déterminera le profil du nouveau directeur. Quelles qualités jugez-vous néanmoins indispensables pour ce poste?

– Le nouveau directeur doit pouvoir dialoguer avec les autres universités de Suisse notamment dans le cadre de la Conférence universitaire suisse. Il doit aussi avoir du charisme pour diriger une institution délicate, notamment en raison de la grande hétérogénéité du corps professoral. Il faut enfin que ce soit une personnalité qui croie au rôle de la Genève internationale.

– Depuis que l'IUHEI est en crise, la Confédération s'implique beaucoup plus. Est-ce un engagement salutaire?

– Tout d'abord, l'Institut de la Villa Barton n'est pas en crise. Quand on voit que près de 800 demandes pour des études approfondies et des doctorats ont été déposées, on voit bien que la réputation de HEI est bonne. Quant au regain d'intérêt de la Confédération, je m'en réjouis. Mais il faut désormais que Berne parle d'une seule voix. Cela dit, je suis certain que Micheline Calmy-Rey, une ancienne de HEI, va favoriser la dynamique qui s'instaure.

– Un rattachement de l'Institut universitaire aux écoles polytechniques, le scénario que le secrétaire d'Etat à la science Charles Kleiber semble étudier, vous inspire-t-il?

– Je n'ai jamais entendu parler de cela, sauf dans les médias. Et à mon avis, c'est complètement déplacé.

– Et une fusion avec l'Institut universitaire d'études du développement (IUED)?

– Il n'en est pas question. Nous avons une histoire et une culture différentes, des responsabilités différentes. La quête de synergies me semble plus appropriée.

– Etes-vous prêt néanmoins à introduire davantage de participation au sein du conseil de fondation? La démarche semble avoir fait ses preuves à l'IUED, qui n'a connu aucun problème pour nommer un nouveau directeur…

– Une participation du directeur de HEI au sein du conseil de fondation est judicieuse. Mais personnellement, je n'irais pas aussi loin que l'IUED. Il ne faut pas trop alourdir le fonctionnement du conseil.

– Quel regard portez-vous sur le Réseau universitaire international de Genève (RUIG)?

– Je me demande si c'est une grande réussite. A mon avis, il faudrait le renforcer pour qu'il devienne un conseil scientifique international à la disposition de toutes les institutions internationales d'études supérieures et de recherche de Genève.

– Le processus dit de Bologne va influer sensiblement sur l'orientation stratégique de HEI…

– Bologne est une chance pour l'Institut. A ce propos, j'ai un avis personnel. HEI doit se concentrer sur les études approfondies et les doctorats. Les licences doivent être confiées à l'Université. Ce faisant, on clarifierait aussi les relations difficiles entre cette dernière et l'Institut.

– Depuis que l'ex-ambassadeur Thomas Borer a claqué la porte de HEI, la Confédération ne forme plus de diplomates à la Villa Barton. Vous le regrettez?

– Je le regrette. Aujourd'hui, l'Institut forme des diplomates… d'autres pays. Il me paraît pourtant nécessaire que HEI s'implique à nouveau dans la formation des diplomates. Notamment dans la formation continue.