Cours de natation obligatoires: la Cour européenne des droits de l’homme donne raison à la Suisse
Justice
La réussite de l’intégration prime sur le droit à la liberté de religion, selon un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme. Elle soutient ainsi la pratique des autorités scolaires bâloises et des tribunaux suisses qui avaient refusé une dispense de piscine à deux fillettes musulmanes

La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) soutient et conforte la politique suisse d’obligation faite à l’ensemble des élèves, quelles que soient leur religion et leur culture, de suivre les cours de natation obligatoires à l’école. Dans un arrêt rendu mardi, la Cour a jugé que les autorités suisses pouvaient légitimement, au nom de l’intégration sociale des enfants, donner la priorité à cette obligation. L’intérêt privé de parents musulmans à voir leurs filles exemptées de cours de piscine mixtes pour des raisons religieuses et donc la liberté de croyance passe au second plan. Selon les juges de Strasbourg, l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme protégeant la liberté de pensée, de conscience et de religion n’a pas été violé dans cette affaire.
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Deux fillettes de 7 et 9 ans
Celle-ci s’est déroulée dans le canton de Bâle-Ville en 2008. Elle concerne deux fillettes musulmanes, âgées à l’époque de sept et neuf ans. Leurs parents, un couple possédant les deux nationalités suisse et turque, refusaient qu’elles participent aux cours de natation, obligatoires à l’école primaire et mixtes jusqu’à l’âge de la puberté (environ 12 ans).
Malgré des demandes réitérées de l’école, les parents ont toujours campé sur leurs positions: leur foi leur interdisait de laisser leurs enfants participer à des cours mixtes, même avant la puberté, argumentaient-ils.
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Les parents avaient été avertis par le département de l’instruction publique cantonal qu’ils encouraient une amende si leurs filles ne respectaient pas les obligations scolaires. En juillet 2010, celles-ci continuant à manquer les cours, les autorités scolaires ont infligé aux parents une amende de 1400 francs suisses (350 francs par parent et par enfant) pour manquement à leurs responsabilités.
Un premier recours a été rejeté par la Cour d’appel du canton de Bâle-Ville en mai 2011. Le pourvoi du couple devant le Tribunal fédéral (TF) fut également rejeté en mars 2012: la Haute Cour a estimé que le droit des intéressés à la liberté de conscience et de croyance n’avait pas été violé. Pour elle, l’intégration sociale des enfants prime sur les autres considérations. Invoquant l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme, les parents ont porté le cas devant la CEDH, où leur requête a donc une nouvelle fois été rejetée.
L’intérêt de l’enfant prime
Les juges de Strasbourg admettent bel et bien que le refus d’accorder une dispense pour la natation constitue une ingérence dans le droit des parents à exercer leur liberté religieuse. Mais ils partagent l’avis des autorités bâloises comme celui des tribunaux suisses: imposer la participation aux cours obligatoires de piscine a «pour but l’intégration des enfants de différentes origines, cultures et religions, ainsi que le bon déroulement de l’enseignement, le respect de la scolarité obligatoire et l’égalité entre les sexes.»
«Même si l’argument des requérants selon lequel seul un petit nombre de parents demande en réalité une dispense des cours de natation obligatoires en raison de leur religion musulmane reflète la réalité», «la Cour estime que l’intérêt des enfants à une scolarisation complète permettant une intégration sociale réussie selon les mœurs et coutumes locales prime sur le souhait des parents de voir leurs filles exemptées des cours de natation mixtes», écrivent les juges dans leur arrêt. A l’unanimité, ils soulignent la place particulière occupée par l’école dans le processus d’intégration. De plus, «ils estiment que l’importance de l’enseignement du sport à l’école réside aussi dans la pratique d’une activité en commun avec tous les autres élèves, indépendamment de la religion et du sexe», commente Doris Angst, ancienne directrice de la Commission fédérale contre le racisme et membre du comité de Facteur de Protection D, une coalition d’ONG qui défendent les droits humains. Ainsi cet arrêt vise l’égalité de traitement entre les enfants et concerne l’ensemble des religions.
Burkini autorisé
La Cour avance un argument supplémentaire en faveur des autorités suisses: des tentatives de discussion et de médiation ont eu lieu à l’école, des aménagements «significatifs» ont été proposés pour tenir compte des convictions religieuses de la famille. Les fillettes pouvaient ainsi revêtir un burkini, ni les vestiaires ni les douches n’étaient mixtes. Par ailleurs, dès la puberté, les cours de natation ne sont plus mixtes. Mais malgré cela, les parents n’ont pas plié.
S’agissant des cours de natation, la priorité de l’intérêt public sur les motifs religieux prévaut en Suisse depuis 2008, suite à une décision de principe du TF. Dans un arrêt, les juges de Mon-Repos avaient alors inversé leur pratique. Entre 1993 et 2008, ils estimaient en effet que le droit d’être dispensé de piscine au nom de la liberté religieuse prévalait sur le caractère obligatoire des cours de natation. «Le TF a modifié sa jurisprudence eu égard à l’augmentation rapide de la population musulmane en Suisse», constatent les juges de Strasbourg. Dans plusieurs affaires touchant différents cantons, cette jurisprudence a depuis lors constamment été réaffirmée.