Credit Suisse: le Conseil national dit non une seconde fois, le crédit de 109 milliards n’est pas approuvé
Credit Suisse
La Chambre du peuple refuse à nouveau l’enveloppe financière engagée pour le rachat de la banque. Le Conseil fédéral et Karin Keller-Sutter se voient privés de l’aval du parlement. Mais cela n’a qu’une valeur de signal politique: l’argent avait été engagé par procédure d’urgence

Karin Keller-Sutter et le Conseil fédéral n’obtiennent pas l’approbation parlementaire. Après avoir été à deux doigts d’un retournement de situation ce mercredi en début d’après-midi, le Conseil national a confirmé par 103 voix à 71 son non aux crédits de 109 milliards accordés par la caisse fédérale pour le rachat en urgence de la grande banque Credit Suisse par UBS. Socialistes, Les Vert·e·s et UDC ont pris le dessus numériquement sur le PLR, Le Centre et les vert’libéraux. Le oui du Conseil des Etats ne suffit donc pas à faire passer le texte, pour lequel la validation par les deux Chambres est obligatoire.
Du point de vue législatif, ce refus du National n’a strictement aucun effet: le gouvernement avait activé le droit de nécessité, avec l’aval de la Délégation des finances du parlement, pour réagir dans l’urgence à l’écroulement accéléré de Credit Suisse, minée par des années de mauvaise gestion. La manœuvre ne récolte pas de majorité au parlement. Il s’agit d’un signal politique fort: le Conseil fédéral et la ministre compétente Karin Keller-Sutter se voient contestés par le premier pouvoir.
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Un passe-passe ultra-rapide
Tout a tourné très vite au Conseil national, dans une sorte de passe-passe politique ultra-rapide. En début d’après-midi, l’objet semblait en bonne voie pour franchir l’écueil. La Chambre du peuple avait émis un premier refus la veille en pleine nuit, mais les majorités paraissaient ce jour susceptibles de bouger, sous l’impulsion du Parti socialiste.
A la mi-journée, une majorité des camarades se disait prête à voter oui, tandis qu’une minorité maintenait son refus, relatait à la tribune officielle le chef du groupe Roger Nordmann (VD). Des conditions étaient posées: le Conseil fédéral devait examiner une augmentation «substantielle et progressive» des fonds propres des banques systémiques, et restreindre légalement les bonus des dirigeants. Surtout, cette majorité de socialistes escomptait un engagement clair de Karin Keller-Sutter à la tribune, leur donnant des gages.
Karin Keller-Sutter ne rassure pas le PS
Tout s’est joué en quelques minutes. Manifestement, la conseillère fédérale libérale-radicale n’a pas satisfait les attentes. «Aucun engagement ferme n’a été pris sur les fonds propres, les bonus, les employés de la banque et la séparation des activités», résume Samuel Bendahan (VD), vice-président du PS. Par conséquent, le parti à la rose est resté sur sa position de rejet des crédits.
Chef des élus socialistes, Roger Nordmann nie toute manœuvre politique destinée à faire porter le chapeau à Karin Keller-Sutter. «Nous avons débattu une heure et demie en séance de groupe, et mes déclarations avant les débats montraient que l’intention de notre majorité était sincère.»
Dans l’autre camp, les libéraux-radicaux et les centristes pestent contre «l’irresponsabilité» de leurs adversaires socialistes, verts et UDC. «C’est une réaction d’enfants gâtés des socialistes», condamne Damien Cottier (NE), chef du groupe parlementaire PLR. «Ils se disent prêts à accepter un compromis, puis viennent avec des revendications supplémentaires et chargent le bateau. A la fin, ils refusent tout et n’assument pas leur responsabilité de parti gouvernemental.»
Selon lui, «Karin Keller-Sutter ne peut pas être plus claire. Le texte prévoyait que le Conseil fédéral «examine» différentes mesures. Puis cela aurait été au tour du parlement de finaliser le projet, comme d’habitude. Demander d’autres engagements à Karin Keller-Sutter est donc irréaliste, elle ne peut pas aller plus loin aujourd’hui.»
«Des mesures insuffisantes et déclamatoires»
Dans cette passe d’armes, PLR et Le Centre sont quant à eux accusés de ne pas vouloir réellement agir à l’encontre du lobby bancaire. «Nous ne voulons absolument pas repousser les mesures sur les banques aux calendes grecques, mais travailler de façon ordonnée, en établissant des analyses avant de décider», justifie Damien Cottier.
Au Centre, le discours est assez similaire. Le vice-président Vincent Maitre (GE) estime que «notre position est totalement compatible avec des mesures fortes. Différents postulats ont été largement adoptés en Commission des affaires juridiques grâce au Centre, qui entre autres demandent d’étudier les actions en justice contre les dirigeants de Credit Suisse, de renforcer la législation too big to fail, et d’analyser le recours au droit de nécessité.»
Un postulat ne contraint pas le Conseil fédéral à modifier la législation, il se contente de lui commander un rapport. Insuffisant aux yeux de la gauche et de l’UDC. Les Vert·e·s voulaient imposer notamment une scission des activités bancaires, pour éviter que des secteurs sains soient pollués par d’autres en mauvais état – comme à Credit Suisse. «C’est l’enseignement majeur de cette crise», insiste Lisa Mazzone (GE), vice-présidente du groupe parlementaire écologiste. «Les autres mesures évoquées (fonds propres, bonus) sont insuffisantes et avant tout déclamatoires, car le Conseil fédéral ou la règlementation internationale vont déjà dans ce sens.»
Reste l’UDC conservatrice, qui a annoncé dès le début de la session rejeter le crédit de 109 milliards. Ses revendications n’ont pas trouvé d’écho au parlement: interdire que les banques grandissent trop et deviennent systémiques, et nommer une majorité de citoyens suisses dans les conseils d’administration. Ses nombreuses voix ont contribué à couler le crédit au Conseil national. Un naufrage symbolique qui va peser sur les débats politiques.
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