Credit Suisse, neutralité, UE: la Suisse à l’étranger, une image bien écornée
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AbonnéCe n’est que le dernier exemple en date: l’effondrement de Credit Suisse intervient après la remise en question de la neutralité de la Confédération par ses voisins et une crise de confiance avec l’Union européenne
Une banque systémique sur le plan mondial, Credit Suisse, qui s’effondre comme un château de cartes en une semaine, devant être rachetée par UBS. Et un Conseil fédéral qui décrète le «droit de nécessité», empêchant ainsi les actionnaires des deux institutions financières de se prononcer comme le voudrait la loi. Qu’advient-il de la Suisse, cet Etat de droit réputé pour sa légendaire fiabilité? Jamais son image n’a paru aussi écornée.
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Le 16 mars dernier, c’est l’ambassadeur des Etats-Unis en Suisse, Scott Miller, qui sonnait la charge. «La Suisse traverse sa plus grande crise depuis la Seconde Guerre mondiale», tranchait-il dans une interview à la NZZ. Son discours est d’une rare sévérité pour un diplomate dont on attend d’ordinaire plus de retenue. Cette fois-ci, c’était la neutralité qu’il attaquait frontalement. Il critiquait nommément Hélène Budliger Artieda, la secrétaire d’Etat à l’Economie, accusée de ne pas en faire assez pour geler les avoirs des oligarques russes en Suisse. Et il s’irritait du fait que la Suisse interdise les réexportations de munitions en Ukraine. «Vous faites ainsi le jeu de l’agresseur, la Russie, qui viole tous les principes du droit international», s’agaçait-il.
Un fossé qui se creuse
Place bancaire soudain fragile, politique de neutralité controversée, relation bilatérale tendue avec l’UE: sur ces trois dossiers, le fossé se creuse entre la Suisse et le monde occidental, surtout en Europe. Seule consolation: ailleurs sur la planète, que ce soit en Asie ou dans les pays du Sud, personne ne s’offusque de la politique suisse. Et puis le phénomène n’est pas nouveau. Dans les années 1990, l’affaire des fonds juifs en déshérence avait aussi suscité une vague d’incompréhension à l’étranger.
«Il ne faut pas trop dramatiser», relativise un ancien diplomate. Pour ce qui est de Credit Suisse, les autorités de surveillance des places bancaires, que ce soit aux Etats-Unis et en Europe, ont salué l’action du Conseil fédéral qui a permis de stabiliser le secteur financier mondial. C’est le côté positif du rachat par UBS. Mais ce même ambassadeur le concède tout de même: «Il faut beaucoup moins de temps pour perdre une bonne image que pour la récupérer». Et ces derniers temps, elle semble plus écornée que jamais.
En Occident, la neutralité helvétique est au cœur des critiques. Depuis l’invasion russe en Ukraine, le Conseil fédéral, même s’il est plus divisé qu’il n’y paraît, s’y accroche. «Nous devons respecter le droit, qui doit toujours primer», répétait le président de la Confédération Alain Berset récemment au Temps. Mais au-delà des frontières, l’incompréhension grandit. Professeur émérite de droit européen, Thomas Cottier rappelle quelques éléments d’histoire. Au Congrès de Vienne en 1815, l’Europe s’est accommodée de la neutralité de la Confédération car elle jouait un rôle d’Etat tampon en Europe. Aujourd’hui, le contexte géopolitique a changé. «La neutralité n’a de valeur que si les autres pays la reconnaissent. Or, actuellement, cet intérêt du côté européen a disparu», constate-t-il.
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Professeure d’histoire à l’Université de Genève, Irène Herrmann s’irrite, elle aussi, de la manière dont le débat se déroule en Suisse. «La neutralité stricte n’a jamais existé, c’est un mythe», estime-t-elle. «Je ne sais pas si ceux qui la prônent font preuve d’un manque de connaissances ou s’ils tentent de gagner du temps en attendant que la tempête passe», ajoute-t-elle.
Moins de compréhension pour les pays neutres
«Dans un monde où l’on est sommé de choisir son camp, il y a moins de compréhension pour les Etats neutres», relève pour sa part Cenni Najy, secrétaire général des vert’libéraux à Genève. Toujours le même corollaire: le fossé se creuse entre la Suisse et ses voisins immédiats.
Ce n’est pas qu’une question ponctuelle sur un thème concret, c’est aussi une attitude. «Les Européens s’agacent lorsque les Suisses s’accrochent à leurs particularismes», remarque encore Cenni Najy. Comprenez: le Sonderfall, ce cas particulier que l’on invoque volontiers avec des airs de suffisance. Si la Suisse a moins de dettes, moins d’inflation et moins de chômage qu’en Europe, c’est donc forcément qu’elle est dans le juste. Dans la foulée, les eurosceptiques se persuadent que «l’Europe a plus besoin de la Suisse que le contraire». Une arrogance coupable, selon Thomas Cottier: «Nous devons descendre de notre piédestal», estime-t-il. «Notre image n’a jamais été aussi reluisante que nous le pensons. Il faut arrêter de se complaire dans l’auto-éblouissement», renchérit Irène Herrmann.
Ce changement d’attitude pourrait être la clé pour sortir le dossier européen de l’impasse actuelle. La semaine dernière, le commissaire européen Maros Sefcovic est venu passer deux jours en Suisse pour «écouter» les doléances helvétiques dans le but de mieux comprendre ses interlocuteurs. «Si la Suisse avait conclu un accord-cadre avec l’UE, elle serait dans une relation constructive, plutôt que dans l’actuel champ de tensions qui l’expose à des mesures de représailles, comme la suspension de notre association au programme de recherche Horizon Europe», regrette un ancien ambassadeur. «Il y aurait alors moins de pression sur les réexportations d’armes de la part de pays européens qui cherchent parfois à se dédouaner de leurs propres responsabilités.»