Les médecins doivent devenir un pilier de la stratégie de déconfinement que le Conseil fédéral présentera le 16 avril prochain. Tel est l’appel que lancent les sociétés de médecine des cantons romands, qui ont écrit à leur Conseil d’Etat respectif en adressant une copie au ministre de la Santé Alain Berset. Même si leur association faîtière de la FMH n’a pas arrêté de position à ce sujet, ils sont de plus en plus nombreux à estimer que les gens devront porter un masque de protection partout où ils n’arrivent pas à respecter la distance sociale de deux mètres: sur leur lieu de travail, dans les transports publics et dans les magasins.

Soucieux d’un retour très progressif à la vie normale, le Conseil fédéral ne touchera probablement pas dans un premier temps à l’interdiction de tout rassemblement de plus de cinq personnes dans l’espace public. En revanche, il devrait consacrer ses premières mesures au monde médical. D’une part, les hôpitaux sont désertés par leur patientèle habituelle, et d’autre part les cabinets médicaux accusent une chute vertigineuse de leurs activités, au point que les plus fragiles d’entre eux craignent la faillite.

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Ces malades qui renoncent à consulter

C’est l’autre enjeu de santé publique de cette crise, celui que personne ne voit. A force de se concentrer sur le coronavirus, qui touche désormais 26 000 personnes, tout le monde a oublié tous les autres malades, qui forment pourtant les 99% des patients. Or, une partie de ceux-ci ont renoncé à se faire soigner dans l’immédiat.

Dans les grands hôpitaux, les spécialistes constatent une baisse de 30% des infarctus et de 20% des accidents vasculaires cérébraux par rapport à la normale. «Une chute trop importante pour qu’elle corresponde à la réalité», selon le vice-président de la FMH et conseiller national (Vert’libéral/GE) Michel Matter. De deux choses l’une: soit les malades évitent provisoirement les hôpitaux et les cabinets de peur de contracter le virus, soit ils reportent leurs visites pour ne pas surcharger les infrastructures sanitaires, en surinterprétant les consignes de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP).

Selon un sondage de la Société vaudoise de médecine (SVM), 40% de ses membres accusent une dramatique réduction de leur activité de 70% ou plus, tandis que 32% rapportent des problèmes de liquidité. «La situation est grave», jugent les sociétés cantonales de médecine de Suisse romande, qui exigent ainsi d’être inclues en premier lieu dans la stratégie de sortie de crise.

En se basant sur l’état de «situation extraordinaire», le Conseil fédéral avait considérablement limité la capacité des médecins d’agir en dehors des cas d’urgence. «Il est temps d’assouplir l’ordonnance, tant pour les généralistes que pour les spécialistes», estiment les sociétés médicales. Celles-ci veulent aussi pouvoir procéder aux tests sérologiques qui permettront de révéler le degré d’immunité d’une personne face au virus. «Les médecins doivent faire partie de la prescription individualisée du déconfinement avant qu’un employé ne retourne travailler dans son entreprise», insiste Philippe Eggimann, président de la Société médicale de Suisse romande.

La question controversée du port du masque

Le ministre de la Santé Alain Berset devrait se montrer sensible à ces revendications. Lors de la dernière conférence de presse du Conseil fédéral, il a déjà laissé entendre que celui-ci pourrait autoriser la reprise des opérations électives, soit celles qui peuvent être programmées longtemps à l’avance. Il devrait également envisager la réouverture des magasins ne vendant pas des produits de première nécessité. Mais cela pourrait bien s’accompagner de l’obligation du port d’un masque de protection lorsque la distance sociale de deux mètres ne peut pas être respectée.

Faudra-t-il bientôt porter un masque à trois plis dans les magasins, les lieux de travail, voire les transports publics? Cette question, encore irréelle voici un mois en Suisse et controversée dans les milieux sanitaires, se pose désormais très concrètement. Depuis jeudi dernier lorsqu’il s’est exprimé dans Forum sur la RTS, Alain Berset envisage sérieusement cette mesure. Michel Matter s’y dit favorable: «Le masque rend visible ce qui est invisible dans la mesure où il nous rend conscients du danger de ce virus.» Mais le conseiller aux Etats Olivier Français (PLR/VD) ne cache pas son scepticisme: «Nous sommes en train de faire une législation pour une minorité d’inconscients qui risquent de contaminer les gens. Plus on prend des mesures contraignantes, plus on renforce la psychose au sein de la population, avec le danger de provoquer des comportements agressifs.»