Elle conteste tout complot et se détourne de son fidèle amant
Devant la justice
C’est pour les beaux yeux désormais larmoyants de Rania* que Tarek* a vidé son chargeur une nuit d’été 2011. Les neuf balles n’ont laissé aucune chance au mari brutal et encombrant de la jeune femme qui s’est effondré dans le hall du foyer pour requérants d’asile des Coudriers. Presque quatre ans plus tard, les amants diaboliques comparaissent devant le Tribunal criminel de Genève pour avoir fomenté l’exécution de celui qui faisait obstacle à leur bonheur. Elle conteste toute participation à un macabre complot et lui abonde dans son sens. Même si celle pour qui il était prêt à mourir a ces mots terribles en audience: «Il ne représente plus rien pour moi. Je n’arrive plus à avoir de sentiments.»
C’est une histoire orientale et donc forcément compliquée. Rania, son mari Amin* et leurs quatre enfants quittent leur terre natale d’Irak pour venir se réfugier en Suisse en 2008. Le couple vit des moments difficiles en raison de la violence de l’époux. Elle porte plainte à deux reprises contre lui mais se ravise à chaque fois de peur de souffrir d’isolement et de représailles familiales (il est aussi son cousin). En octobre 2010, Amin la répudie mais ils continuent à vivre ensemble pour la procédure d’asile, pour obtenir le logement promis par les services sociaux et parce qu’il a visiblement de la peine à se faire au divorce.
C’est à la même époque que Rania rencontre Tarek. Ce garagiste libanais, domicilié à Winterthour depuis une dizaine d’années, marié lui aussi et père d’une fille, quelques condamnations mineures à son casier, tombe sous le charme de cette jeune femme maltraitée. «Je l’ai aimée à la folie. Et je considérais ses enfants comme les miens», dit-il. Les amants se voient les week-ends, durant les vacances scolaires, et finissent par se marier religieusement. Rania prétexte des visites chez une amie jusqu’au jour où un des petits vend la mèche à son père. Qui le prend mal.
A entendre Tarek, Rania se fait battre encore plus violemment à partir du moment où Amin apprend cette liaison amoureuse. «Il était comme une bombe, il voulait la forcer à avoir des rapports intimes et il la frappait.» La jeune femme, défendue par Me Vincent Spira, ne confirme pas. Le Coran lui interdit de dire du mal d’un mort. Elle ne veut donc pas accabler Amin. Sur l’insistance de la présidente Sabina Mascotto, elle concède: «Il y a eu des problèmes mais pas comme avant. Il se faisait du mal à lui-même. C’est vrai qu’il a essayé de m’étrangler. Quand il a appris cette relation, il est devenu très nerveux.»
A partir de ce 18 juin 2011, Rania ne voit plus Tarek afin de ne pas aggraver les choses. C’est lui qui viendra à Genève, douze jours plus tard, armé d’un pistolet. Selon l’acte d’accusation du procureur Olivier Lutz, Rania a fourni les informations nécessaires pour que son amoureux trouve Amin et le tue en pleine nuit devant le foyer. «Encore aujourd’hui, j’ai de la peine à croire qu’il a fait cela. Je ne savais même pas qu’il allait venir», se défend la prévenue. Et ce malgré les innombrables messages et appels passés avant le crime.
Et ce n’est pas Tarek qui l’accablera. «Elle n’était au courant de rien.» Celui qui se considère comme un héros et un sauveur, selon l’expression de l’expert psychiatre, explique être venu pour trouver une solution. Il tourne autour de l’immeuble durant quatre heures avant de voir Amin arriver en taxi. La discussion ne va pas durer longtemps. Moins d’une minute. «Je lui ai dit qu’elle était devenue ma femme et qu’il devait s’éloigner. Il m’a insulté et il a juré qu’il allait la tuer. Je l’ai vu partir alors j’ai tiré. Je savais que c’était un criminel et un terroriste et qu’il était capable de tout.»
Ensuite, Tarek repart en direction de Winterthour et jette l’arme dans le lac de Zurich. La police sera mise sur sa piste grâce aux écoutes téléphonique. Le Libanais, défendu par Me Yaël Hayat, conteste toute préméditation. «J’ai commis cette erreur impardonnable car je voulais la protéger. Je l’aime toujours mais ce sera difficile de vivre comme avant car elle ne m’a pas soutenu. C’est comme si mon cœur est brisé.» Elle, 33 ans, libre. Lui, 37 ans, détenu. Le procès des amants divisés se poursuit.
* Prénoms d’emprunt.
«Je lui ai dit qu’elle était devenue ma femme. Il m’a insulté et il a juré qu’il allait la tuer…»