Bahtiyar et Arkin Mahnut, toujours détenus à Guantanamo, sont bien malgré eux les principaux acteurs d’un infernal casse-tête. Elizabeth Gilson, l’avocate américaine de ces deux frères ouïgours, mène ces jours une véritable croisade entre Berne et Delémont pour tenter de les faire accepter. Jeudi, lors d’une conférence de presse organisée à Berne par Amnesty International, elle a insisté sur le fait que les Américains ont reconnu en 2003 déjà les avoir arrêtés de manière arbitraire et qu’ils ne représentaient donc pas de danger pour la Suisse.

Mais voilà: les deux frères risquent aussi de faire parler d’eux en des termes bien différents mardi prochain. Ce jour-là, le vice-premier ministre chinois rencontrera la présidente Doris Leuthard et Micheline Calmy-Rey. Et il y a fort à parier que, outre des discussions sur un futur accord de libre-échange, la situation des deux frères issus de la minorité musulmane et turcophone de Chine sera aussi abordée. Pékin les considère comme de dangereux terroristes et affirme qu’ils figurent sur une liste noire des Nations unies. Ce que dément formellement Elizabeth Gilson.

Pékin avait déjà vivement réagi auprès d’Eveline Widmer-Schlumpf en décembre après avoir appris que les deux Ouïgours innocentés par les Américains avaient des chances d’être admis à titre humanitaire en Suisse. Embarrassé par l’idée de blesser un partenaire économique important, le Conseil fédéral ne fait depuis que repousser sa décision.

«Jouer sur les mots»

En décembre, le gouvernement avait annoncé la venue d’un premier détenu innocenté de Guantanamo, un Ouzbek, à Genève. Il avait aussi fait savoir que l’accueil des deux autres prisonniers pressentis dépendrait de la bonne volonté des cantons. Charles Juillard, le président du gouvernement jurassien, s’est alors empressé de rappeler que son canton s’était déclaré prêt à les accueillir. Depuis, le Conseil fédéral hésite, temporise. Et donne surtout l’impression d’espérer un revirement de Delémont pour des raisons sécuritaires ou médicales – un des frères souffre de troubles psychiatriques. Il peut aussi s’appuyer sur le fait que deux commissions parlementaires viennent de donner un préavis négatif.

Fâchée, la conseillère aux Etats Anne Seydoux (PDC/JU), présente jeudi à la conférence d’Amnesty, a reproché au Conseil fédéral de «jouer sur les mots pour gagner du temps alors que le Jura a manifesté sa disponibilité». Elle dit vivement espérer que le Conseil fédéral ne se laissera pas impressionner par les menaces chinoises.

Une rencontre entre le gouvernement jurassien et Eveline Widmer-Schlumpf doit encore avoir lieu. Près de 80 réfugiés chinois ouïgours vivent déjà en Suisse. Ils se disent prêts à veiller à une bonne intégration des deux frères qui croupissent depuis près de huit ans à Guantanamo. «En cas de retour en Chine, ils risqueraient d’être à nouveau emprisonnés, torturés et même condamnés à mort», insiste Endili Memetkerim, président de l’Association suisse du Turkestan oriental, présent aux côtés d’Elizabeth Gilson.

Désamorcer des craintes

L’avocate américaine est en Suisse depuis mercredi. Après son escale bernoise, elle s’est rendue jeudi après-midi dans le Jura pour tenter de désamorcer certaines craintes. Elle s’entretiendra en début de semaine prochaine avec Charles Juillard. Une rencontre avec un représentant du Département fédéral de justice et police devrait aussi avoir lieu d’ici à son départ, mardi soir. Une demande a en tout cas été faite en ce sens.