Devant la justice

Une petite chose voûtée et tremblotante. A 69 ans, Jeannie de Kaenel n’est plus que l’ombre d’elle-même. Cette femme d’origine britannique semble avoir rassemblé toutes ses forces pour affronter l’épreuve du procès qui s’est ouvert lundi devant le Tribunal criminel de Lausanne. Un procès qui lui fera revivre le cauchemar de cette nuit de décembre 2008 où elle a vu son mari, Christian, roué de coups jusqu’à en mourir. Sur le banc des accusés, deux grands gaillards, beaucoup moins marqués par les tourments de l’existence, doivent répondre d’assassinat et de brigandage qualifié.

«Je n’ai rien à voir avec cette histoire, moi.» Le ton est donné d’entrée de cause. Besnik, qui fêtera ses 29 ans jeudi, en quête d’asile depuis qu’il a quitté son village de Llashtic, au Kosovo, nie tout en bloc. La seule concession qu’il fait aux accusations portées par le procureur général Eric Cottier est d’avoir consommé de la cocaïne et du cannabis mais pas d’en avoir vendu. L’intéressé affirme même ne pas connaître celui qui, debout à moins d’un mètre de lui, l’implique dans le brigandage qui tournera au massacre.

Ce deuxième larron se prénomme Christophe. Un Lausannois de 24 ans, qui avait tenté sa chance au concours de Mister Suisse romande en 2005, avant de se convertir à la visite nocturne de villas et de faire le gigolo pour une riche Genevoise. Il reconnaît s’être déjà introduit à deux reprises au domicile des époux Kaenel, des voisins de ses parents à Epalinges. En 2006, il dit avoir fait main basse sur le contenu du coffre-fort, 7000 francs ainsi que des lingots d’or. Ce beau butin le fera revenir deux ans après. Il y trouvera quelques bijoux posés sur la table de nuit.

La troisième opération sera la plus dramatique. Christophe et son complice – il affirme qu’il s’agit bien de Besnik – se rendent ce 29 décembre au petit matin à la villa du chemin des Planches en espérant vider un coffre bien garni. Jeannie de Kaenel, réveillée par l’alarme, tente de faire partir les deux individus qui ont pénétré dans son jardin. En vain. Elle réveille son mari qui va à la rencontre des intrus. Christian, 67 ans, reçoit un premier coup avant d’être traîné à l’intérieur du salon et jeté sur le sol.

Jeannie, assise sur le canapé, elle aussi violemment secouée, accède à toutes les demandes des agresseurs afin qu’ils cessent de donner des coups de pied dans la tête de son époux. Elle devra revivre cette scène pour le Tribunal criminel (composé du président, de trois juges laïcs et de six jurés populaires) qui a fait le déplacement d’Epalinges en début d’audience afin de prendre la mesure concrète des événements.

Evénements que l’acte d’accusation, basé sur le récit de la partie civile, décrit comme une succession de violences, de menaces – une lame de couteau est posée sur le doigt de Christian, deux tournevis sont plantés dans le fauteuil – et de frustrations. Le coffre-fort ne contient que 200 euros, les portefeuilles 3400 francs. Les agresseurs quittent les lieux mais Christian ne se relèvera jamais. Il décède de ses lésions cérébrales avant l’arrivée des secours.

Au début de l’enquête, Jeannie de Kaenel a eu de la peine à reconnaître ses agresseurs. Elle avait un doute sur Besnik, «le petit» avec la capuche. Aujourd’hui, après l’avoir revu sur les lieux du drame, cela lui paraît évident. «C’est bien lui», dit-elle devant la Cour. Elle est aussi convaincue que ce duo n’était pas aussi ivre que le prétend Christophe. Jeannie, qui a tenu avec son époux des établissements publics durant quarante années, dont la célèbre Pinte Besson à Lausanne, sait de quoi elle parle. Ce dont la veuve ne se rappelle toutefois pas avec certitude, c’est si ce Mister Suisse romand recalé a aussi frappé lors de ce funeste soir. «Il me semble que oui.»

Christophe, défendu par Mathias Burnand, reconnaît que l’idée du coup vient de lui. Il dit avoir proposé cette brutale équipée à Besnik après une nuit arrosée dans un bar. «Je l’ai prévenu qu’il fallait peut-être mettre un gnon au propriétaire. Il m’a répondu: «Pas de problème, j’ai l’habitude.»» Après avoir quitté ses victimes, Christophe rentre se coucher chez sa mère. Il subtilise des chaussures à son beau-père pour remplacer les baskets ensanglantées de son complice. Ces chaussures toutes rouges – identifiées par leur propriétaire – seront retrouvées par la police au domicile de Besnik.

Avant son arrestation, le 9 janvier 2009, Christophe continue son existence comme si de rien n’était, ou presque. Il tombe amoureux, part skier avec cette fille, rassure son beau-père qui s’inquiète en entendant parler du crime d’Epalinges. «Il m’a dit qu’il n’avait rien à voir avec ça», raconte l’intéressé. C’est que le jeune homme, déjà condamné à deux reprises, en a déjà fait voir de toutes les couleurs à sa famille.

«Avec moi, il a toujours été gentil», raconte sa mère. Pas comme son père et son grand frère, qui étaient d’une rare violence. Christophe en a aussi pâti. Il a été abusé par tous les deux. Une plainte a été déposée mais il a préféré la retirer après une première confrontation. A l’école, il n’a rien appris et plus tard, il n’a jamais vraiment travaillé. Entretenu par ses proches et surtout par une dame qui ne pouvait rien lui refuser, Christophe, de l’aveu même de sa mère, est un affabulateur qui aime raconter des histoires et s’inventer des richesses et un statut qu’il n’a pas.

La personnalité de Besnik, défendu par le toujours très énergique Jean Lob, semble bien différente. L’expert psychiatre en dira sans doute plus sur ce garçon qui affirme n’avoir jamais pénétré chez le couple de retraités et n’avoir même jamais rencontré Christophe avant cette enquête. Une jeune femme viendra pourtant soutenir le contraire en affirmant que c’est bien Besnik, son dealer de coke à l’époque, qui lui a présenté le Lausannois en cette fin d’année 2008.

«Vous mentez toujours?» demande la Cour, excédée par les tergiversations de cet accusé qui modifie ses versions et ses alibis au gré des témoignages. «Jamais, Monsieur le président», rétorque Besnik. Pour convaincre de sa bonne foi, ce dernier demande, par la voix de son avocat, à passer au détecteur de mensonges. Il sera fixé sur sa requête ce mardi.