Analyse

C’est une première depuis 1989: le 26 avril prochain, Neuchâtel va connaître un deuxième tour pour élire ses cinq conseillers d’Etat. Du coup, les partis peinent à appréhender une situation qui semblerait pourtant normale dans la plupart des cantons. La multiplication des candidats (30) au premier tour complique encore l’équation.

Ce contexte particulier a altéré le jugement de certains responsables de parti, qui ont oublié un point fondamental à l’heure d’évaluer les résultats du 5 avril: le système majoritaire à deux tours implique, par définition, une analyse en deux temps. Les partis commencent par sélectionner le ou les candidats arrivés en tête de liste. Ils prennent ensuite langue avec leurs alliés pour trouver la stratégie la plus efficace pour obtenir la majorité. La constitution d’une coalition n’est pas nécessaire quand un parti fédère à lui seul la moitié de l’électorat, comme le PDC en Valais.

Grisé par le tir groupé de ses candidats, le Parti libéral-radical (PLR) a retrouvé ses réflexes hégémoniques. Il a décidé de lancer une liste à trois au second tour avec l’objectif avoué de gagner tout seul. Un choix qui interpelle au vu du poids du parti: Frédéric Hainard, Claude Nicati et Philippe Gnaegi ont obtenu entre ­25 et 30% des voix le 5 avril.

Au regard des précédents scrutins, le PLR seul ne peut pas espérer progresser beaucoup au second tour. La constitution d’une liste à trois avec le l’UDC Pierre-Alain Storrer (15% des voix) aurait permis de mobiliser un électorat plus large. Et renforcé les chances de renverser la majorité de gauche en place depuis 2005.

Le risque du blocage

Plus ennuyeux, cette stratégie à courte vue pourrait déboucher sur un blocage institutionnel majeur. L’élection des trois candidats PLR marquerait une double ligne de fracture: avec le bloc de gauche, majoritaire au parlement, mais aussi avec l’UDC, confortée dans son rôle de parti d’opposition.

Le PS n’est pas en reste. Ebloui par le score de leurs seconds couteaux, il a imaginé lancer un ticket à 100% socialiste le 26 avril. L’idée, qui a animé d’interminables discussions, ne résiste pas à l’analyse. Pour des raisons de représentativité, tout d’abord. Le parti a toujours dit qu’il ne visait que deux sièges. En 2005, il avait d’ailleurs retiré Didier Berberat de la course au Conseil d’Etat au profit du radical Roland Debély.

Contrairement à il y a quatre ans, la majorité de gauche au gouvernement n’est pas acquise. On aurait pu comprendre, à la limite, que le PS, fort de la majorité parlementaire rose-rouge-verte, lance un candidat arrivé dans le sillage de Jean Studer et Gisèle Ory (plus de 20 000 voix). Troisième de la liste, Johanne Lebel Calame en a obtenu la moitié. Un gouffre qui, de fait, la rend inéligible.

Reste le cas Fernand Cuche, giflé le 5 avril par les Neuchâtelois. Repêché par le PS pour accompagner le duo Studer-Ory, le ministre écologiste n’aurait pas mérité d’être élu tacitement. Il a en revanche toute sa place au second tour. Il a obtenu le meilleur score, et de loin, de tous les candidats POP-Vert-Sol et accuse un retard de moins de 1000 voix sur Johanne Lebel Calame. Il est en outre issu d’un groupe qui a gagné 6 sièges au parlement pendant que le PS en perdait 5. Aux électeurs, désormais, de dire s’ils transformeront le carton jaune du 5 avril en carton rouge.

Ce constat ne suffit pas à évacuer un profond malaise. Les citoyens qui ne veulent plus de Fernand Cuche mais qui souhaitent conserver une majorité de gauche se sentent floués. Cette situation s’explique par le manque d’ambition de l’extrême gauche: le POP a renoncé à lancer son président, Denis de la Reussille, qui aurait constitué une alternative crédible. Les Verts possèdent une relève prometteuse. Ils auraient dû la profiler plus tôt.