Selon le site internet du parlement, la dernière intervention du conseiller national Ignazio Cassis a été déposée en mai dernier. Elle porte sur l’hépatite E. Le Tessinois s’inquiète de l’augmentation des cas dans son canton, liée selon lui à la consommation de produits à base de foie de porc cru, comme la mortadelle. Que fait le Conseil fédéral? se demande-t-il. Ce souci est légitime, surtout de la part de celui qui a été naguère médecin cantonal. Mais ce n’est pas l’histoire de la mortadelle qui poursuit Ignazio Cassis. Son tort? Il est désigné comme l’homme des caisses maladie. «Kranken-Cassis», résume la presse alémanique.

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L’étiquette colle à la peau du Tessinois. Candidat à la succession de Didier Burkhalter au Conseil fédéral, la gauche fait la moue, la presse en fait un thème. Ignazio Cassis préside en effet Curafutura. L’association des «assureurs maladie innovants», comme elle se présente, plaide pour un système de santé basé sur la concurrence. Ses membres fondateurs sont Helsana, CSS, Sanitas et CPT, qui représentent à elles seules près de trois millions d’assurés. Au parlement et au sein de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique, Ignazio Cassis incarne cette même vision libérale. Pour cela et pour toutes ses tâches de président, il touche 180 000 francs par an.

Le médiateur de Curafutura

Curafutura est une jeune organisation. Elle est née en 2013 à la suite des divergences de vues entre les assureurs maladie regroupés au sein de Santésuisse. La nomination à sa présidence d’Ignazio Cassis, médecin, en avait surpris plus d’un. Mais le concerné s’était alors justifié, expliquant qu’il voulait surtout être un facilitateur entre les acteurs du domaine de la santé. Curafutura avait de grandes ambitions: s’imposer dans les négociations et isoler Santésuisse.

Le procès qui est fait à Ignazio Cassis est surréaliste

Claude Ruey, ancien conseiller national vaudois PLR

Bilan de l’opération: les blocages entre partenaires persistent, notamment pour réviser les tarifs pratiqués dans la médecine ambulatoire, Santésuisse a survécu, et les deux organisations ont même fini par collaborer. «Leur approche globale des problèmes de la santé et des assurances est la même», constate l’ancien conseiller national Stéphane Rossini (PS/VS). S’il faut vraiment trouver une différence, le spécialiste de ces questions évoque le style: «Santésuisse est peut-être plus dogmatique. Curafutura fait preuve de davantage de souplesse.» Directrice de Santésuisse, Verena Nold mentionne également la collaboration des deux organisations sur les thèmes importants. «Il n’y a pas de contentieux entre nous», dit-elle.

Et Heinz Brand?

Stéphane Rossini ne comprend pas qu’on puisse «chercher la petite bête» à Ignazio Cassis. Il rappelle que les liens entre parlementaires et lobbies sont inhérents au système suisse de milice. Doris Leuthard était l’alliée des partisans du nucléaire avant son élection au Conseil fédéral. Le conseiller national UDC Heinz Brand, président de Santésuisse, n’avait pas fait l’objet de telles critiques lorsqu’il était candidat à la candidature pour succéder à la conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf.

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«Le procès qui est fait à Ignazio Cassis est surréaliste», estime Claude Ruey. L’ancien conseiller national vaudois PLR présidait Santésuisse avant la naissance de Curafutura. Il siégeait aussi à la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique. Il rappelle qu’à l’époque, il côtoyait Ignazio Cassis, qui était lui vice-président de la FMH, l’association des médecins. «Il s’est droitisé avec l’expérience. Mais à cette période, on devait presque le retenir pour qu’il ne vote pas avec la gauche», se souvient-il.

Pas l’intérieur

Et de déplorer également les reproches systématiques qui sont faits aux élus proches des assurances. «A l’époque, nous étions une douzaine de parlementaires à Berne en contact avec des assureurs. Pendant que plus de 40 autres élus étaient du côté des prestataires de soins. Malheureusement, on s’en inquiète beaucoup moins», constate-t-il. Claude Ruey pense à la FMH ou encore à H+, la faîtière des hôpitaux, cliniques et institutions de soins publics et privés. «Celui qui préside ces instances défend des intérêts sectoriels alors que les assureurs maladie de base poursuivent un but social: faire baisser les coûts de la santé pour faire baisser les primes.» La conseillère nationale vaudoise Isabelle Moret, qui pourrait aussi être candidate, préside justement H +, la faîtière des hôpitaux, cliniques et institutions de soins publics et privés.

Conscient cependant que son étiquette pourrait lui jouer des tours et lui faire perdre de précieuses voix, Ignazio Cassis a préparé sa défense. Interrogé sur le département qu’il convoiterait en cas d’élection, il répond au Tages-Anzeiger: «On pourrait s’attendre à ce que je cite le Département fédéral de l’intérieur, avec lequel j’ai des contacts intensifs. Mais le mieux serait peut-être que je m’en distancie. Un conseiller fédéral doit regarder la forêt, pas chaque arbre. Et du Département de l’intérieur, je connais même la moindre feuille.»