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Le curé Perritaz, «fantassin du bon Dieu» et chroniqueur de Fribourg la catholique

L'ouvrage de Gilbert Perritaz, «L'Infanterie du bon Dieu», est déjà un succès de librairie. L'auteur y retrace avec finesse, humour et détachement une vie passée au service de Dieu dans la campagne fribourgeoise.

«J'aime novembre. Je suis scorpion. Chaque mois a ses couleurs de ciel et d'âme. Il me semble que novembre est intérieur. Dès la Toussaint, il nous conduit vers ces lieux où reposent les morts. J'ai la fringale des cimetières.» Gilbert Perritaz débute son livre avec ces quelques mots. Quelques paragraphes plus loin, il évoque alors les tombes de De Gaulle à Colombey-les-Deux-Eglises ou de Mitterrand à Jarnac, précisant: «Les morts sont souvent seuls.» Un style sobre, direct, sans fioriture. Derrière son visage rond transpirent l'humanité et la malice.

Intitulé L'Infanterie du bon Dieu, le livre de l'ecclésiastique est déjà un succès en librairie. Ce curé de campagne de 73 ans raconte avec simplicité son parcours de vicaire et de curé. Quarante-cinq ans de ministère. «Vous savez, j'écris comme je parle», dit-il avec timidité. Aujourd'hui installé dans la cure d'Avry-devant-Pont, Gilbert Perritaz nous plonge pourtant au cœur de Fribourg la catholique. Le voyage est subtil, documenté et sensible. Une vraie immersion dans l'identité villageoise ou dans les luttes féroces entre radicaux et conservateurs. Sans emphase ni compromission, dans un style épuré, l'abbé «soixante-huitard», abonné au magazine Marianne, de Jean-François Kahn, et encore auteur d'un billet dans La Gruyère, parle de ses paroissiens, évoque la vie quotidienne du siècle passé ou dresse des portraits touchants ou corrosifs des hommes et des femmes qu'il a côtoyés.

Issu d'une famille de paysans de Villarlod, Gilbert Perritaz a toujours baigné dans un univers pieux, où la religion est au centre des préoccupations de la communauté. Après la scolarité obligatoire, il choisit la filière classique à Fribourg, et passe son bac dans l'internat du Collège Saint-Michel. Deux curés de sa paroisse le convainquent alors d'entrer au séminaire à Fribourg. «Je me suis beaucoup interrogé sur le sens que j'allais donner à ma vie. J'ai fait ce choix en toute indépendance, et je ne l'ai jamais regretté. Même si, comme tout le monde, j'ai eu mon lot de tempêtes et de faiblesses», raconte-t-il.

En 1953, Gilbert Perritaz entre donc au séminaire. Il se souvient du cardinal Charles Journet, l'un de ses professeurs de théologie. «Il a écrit L'Eglise du verbe incarné, un livre épouvantable à lire. Mais ses cours, du moins un sur dix, étaient fantastiques», se souvient-il. Coupé du monde, interdit de presse quotidienne, le séminariste a pourtant apprécié ces cinq ans de réclusion à apprendre son futur métier. «Chaque jeudi, on avait une sortie, explique-t-il. C'était l'occasion d'aller dans les cafés et de se plonger dans les nouvelles du monde.» Il se souvient encore de cette rencontre marquante avec l'abbé Pierre en 1954, lors d'une conférence à l'Université de Fribourg.

Après ses études, il est ordonné prêtre en 1958. Un 8 décembre. L'évêque du diocèse est alors Mgr Charrière, un homme «distant et colérique, que j'ai appris à connaître en Italie lors d'une retraite». Vicaire dans le quartier de Beauregard à Fribourg, le villageois Gilbert Perritaz appréhende le monde ouvrier, «ces vrais socialistes avec leurs salopettes bleues. Pas des cols blancs comme aujourd'hui.»

Dans son livre, l'abbé dresse également un portrait des mentalités fribourgeoises. Il se souvient de l'antisémitisme qui régnait dans les campagnes à l'aube de la Seconde Guerre mondiale. Un chapitre est ainsi consacré à l'atypique curé Robert Laurent. «Le corporatisme du Portugais Salazar l'avait conquis, le fascisme mussolinien de même. Pensez donc. Ce Duce qui avait redonné du travail à ses ouvriers, qui construisait les autoroutes du Soleil! On était en 1939. Publiquement il étalait son admiration pour Hitler, car le curé Laurent était profondément anti-juif et anti-franc-maçon», écrit Gilbert Perritaz.

Puis c'est le départ vers Châtel-Saint-Denis. Il découvre la Veveyse et ses politiciens. Notamment le «pape paysan», Robert Colliard, fondateur du PAI (Parti agraire et indépendant), l'ancêtre de l'actuelle UDC. Ce politicien «rusé» piqua le siège de Jean-Marie Musy, l'ancien conseiller fédéral, en menant compagne contre les frais d'une porte en fer forgé pour l'Université de Fribourg. Après un passage en terre vaudoise entre 1969 et 1973, le curé viendra alors s'établir en Gruyère, où il réside toujours.

Bien plus qu'un livre complaisant sur sa vie ou sur l'évolution de l'Eglise, Gilbert Perritaz parle en libre penseur du monde, de Mai 68, d'Ecônes, du célibat des prêtres, des religions du monde, des luttes politiques ou encore des hommes d'Eglise qu'il a aimés ou détestés.

Abbé Gilbert Perritaz, «L'Infanterie du bon Dieu», Fribourg: Editions La Sarine.