Cultiver, vendre et autoriser la consommation de cannabis au sein d’associations contrôlées par l’Etat sur une période de trois ans, voilà le projet pilote dévoilé jeudi à Genève par un comité interpartis. Singularité de l’événement: toutes les forces politiques représentées au parlement (exception faite de l’extrême gauche) ont participé à cette réflexion. Même si l’UDC genevoise n’en a pas partagé, in fine, ses conclusions.

Pour ses auteurs, le constat est clair. La politique répressive menée actuellement contre les dealers ne fonctionne pas, coûte cher aux collectivités – 200 millions de francs par année en Suisse, estiment ces derniers – et «pourrit la vie des Genevois», affirme Sandro Cattacin, professeur de sociologie à l’Université de Genève, qui a présidé le groupe.

«L’insécurité générée par le deal de rue n’a pas été éradiquée, renchérit Lydia Schneider Hausser, députée socialiste. La Suisse compte environ 500 000 personnes qui ont touché au cannabis ou qui en consomment régulièrement. C’est 130 tonnes par année, un milliard de francs de chiffre d’affaires.»

Selon eux, le cannabis est désormais entré dans les mœurs. «Il est considéré comme une drogue récréative, sa consommation n’est désormais sanctionnée que d’une simple amende», rappelle l’élue. «On ne peut pas continuer à ignorer la réalité genevoise. On peut se fournir en cannabis, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, et à moins de dix minutes de chez soi, tonne le député écologiste Mathias Busch­beck. Il ne s’agit pas de libéraliser le marché, puisqu’il l’est déjà! Il s’agit de le réguler.»

Pour mettre un terme à ce trafic particulier de stupéfiants et contenir les effets d’un marché à ciel ouvert, le groupe a examiné quatre modèles expérimentés à l’étranger: la vente dans les magasins spécialisés, les coffee-shops néerlandais, le modèle d’accès médical et les associations de consommateurs de cannabis. C’est ce dernier qui emporté les faveurs du comité. Un modèle qui existe déjà depuis 2002 en Espagne, et qui a fait son apparition l’an passé en France sous l’appellation de Cannabis Social Club.

Le système est relativement simple. Les consommateurs fondent une association sans but lucratif. Cette dernière est responsable de la production, dans un lieu tenu secret afin d’éviter les cambriolages. Chaque membre paie une cotisation au prorata de sa consommation, elle-même limitée à 2 grammes par jour, à consommer sur place ou chez soi. Les autorités veillent à ce que la production du collectif ne dépasse pas ses besoins de consommation, en assurant parallèlement le contrôle de la qualité du produit délivré, sur lequel l’Etat prélève une taxe. Enfin, chaque membre doit résider dans le canton, et ce dans le but d’écarter le tourisme cannabique.

Un point pose problème, reconnaît lui-même le comité: les personnes mineures. «Si on les autorise à adhérer à ce type d’association, on nous reprocherait de les inciter à se droguer, concède Marie-Thérèse Engelberts, du MCG. Mais les exclure reviendrait à favoriser à nouveau le marché noir.» Deux autres figures de la formation populiste, Mauro Poggia et Roger Golay, seraient, selon nos informations, favorables au projet.

Si celui-ci reste pour l’heure à l’état embryonnaire – n’étant pas encore soumis à l’approbation des partis, et sans la moindre idée des emplacements des locaux des associations –, des indices laissent supposer que les signaux sont passés au vert. La présence de Rolin Wavre au sein du comité, ancien secrétaire du Parti radical genevois, laisse deviner l’ombre de son ministre, le conseiller d’Etat Pierre Maudet. «J’accueille bien sûr avec intérêt toute contribution au débat. Il n’y a pas de sujet tabou, et cette proposition devra être étudiée comme les autres pistes qui existent dans ce domaine», répond brièvement l’édile, interrogé sur l’intérêt de la proposition.

De son côté, le premier magistrat du pouvoir judiciaire, le procureur général Olivier Jornot, n’a pas tenu à commenter l’aspect politique, mais a rappelé l’importance de définir un cadre «clair et respectueux» du droit fédéral avant d’aller plus loin. Sur l’aspect légal, le projet pilote devra respecter la loi fédérale sur les stupéfiants. A cet effet, le comité n’a pas encore défini la voie qu’il comptait prendre. «Nous pourrions déposer une initiative cantonale ou une résolution invitant le gouvernement genevois à interpeller le Conseil fédéral. L’option de lancer le débat directement aux Chambres fédérales pourrait être aussi envisagée», avance Rolin Wavre.

Si l’aspect sécuritaire de la proposition a nettement été mis en avant par ses initiants, la perspective médicale n’a pas été oubliée. En l’état, le projet mentionne la présence d’éducateurs spécialisés dans les locaux des associations, à des fins de prévention des risques, dont celui de la dépendance.

Contacté, Jacques-André Romand, médecin cantonal genevois est favorable à un tel projet pilote. «La problématique du trafic de drogues doit être pensée à l’envers. S’il y a du deal, c’est parce qu’il existe des consommateurs. Et il en existera malheureusement toujours. Arrêtons de cacher la poussière sous le tapis. Notre rôle est d’en diminuer le nombre et de les prendre en charge.»

Les autorités veilleraient à ce que la production du collectif ne dépasse passa consommation