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«Le débat scolaire genevois a des répercussions jusqu'au Québec»

Le ministre québécois de l'Education était à Genève pour rencontrer son homologue Charles Beer. Interview.

On ne croyait pas Genève et le Québec aussi unis dans leur destin scolaire. Après le voyage du conseiller d'Etat Charles Beer au Québec en janvier 2004, c'est au tour du ministre québécois de l'Education, Jean-Marc Fournier, de s'enquérir de l'état des réformes scolaires à Genève. Ce dernier est venu voici un peu plus de deux semaines dans la Cité de Calvin pour s'entretenir avec Charles Beer. Sa venue est intervenue après que la presse québécoise s'eut fait écho de «la volte-face» de Genève dans ses réformes scolaires. Des réformes dont la Belle Province s'est notamment inspirée en se référant aux travaux de la Faculté de psychologie et de sciences de l'éducation (Fapse) de l'Université de Genève. Jean-Marc Fournier livre au Temps son appréciation sur le débat scolaire qui fait rage des deux côtés de l'Atlantique.

Le Temps: A Montréal, le quotidien «La Presse» s'est fait l'écho de la «volte-face» genevoise en évoquant la volonté de Charles Beer de remettre des notes en mathématiques et en français à partir de la troisième primaire. Quel est l'impact du débat scolaire genevois au Québec?

Jean-Marc Fournier: Ma rencontre avec Charles Beer a été très utile, car au Québec, nous avons été effectivement interpellés sur la volte-face genevoise au niveau de la rénovation. Un article dans la presse québécoise laissait entendre que Genève abandonnait la réforme. Du coup, certains opposants aux réformes m'ont demandé pourquoi on ne ferait pas comme en Suisse, en abandonnant tout. Ma venue à Genève m'a permis de mettre les choses au point. Genève n'abandonne pas tout. Je dis plutôt que si Genève n'abandonne pas, n'abandonnons pas. J'ai en fait pu constater que Genève procédait à une adaptation de son système, mais ne jetait pas le bébé avec l'eau du bain, contrairement à ce qu'on a pu croire au Québec.

– Les réformes entreprises au Québec font-elles aussi l'objet de vives controverses?

– Nous sommes dans un processus qui ressemble à ce qui se passe à Genève. Sans commenter le débat politique genevois, je peux vous dire que nous allons dans la même direction, même si ce n'est pas nécessairement au même rythme. Nous ne prenons peut-être pas les mêmes détours. L'implantation du renouveau pédagogique au Québec s'est déjà faite au primaire, et nous allons entreprendre la réforme cet automne au secondaire. La mise en œuvre de cette dernière a déjà été reportée deux fois, et elle intervient dans un contexte de négociation sur les conventions collectives de travail avec les enseignants. Pas besoin de vous dire que la pression exercée par les enseignants pour empêcher l'implantation est forte. Mais c'est normal qu'il y ait des grèves où ils s'expriment, car ce sont eux qui doivent faire les adaptations les plus importantes.

– Qu'est-ce qui bloque dans la mise en place de la réforme du secondaire?

– Les clans ne sont pas les mêmes qu'en Suisse. Il y a des parents qui sont opposés à l'implantation de la réforme au secondaire, mais la Fédération des comités de parents y est favorable, au même titre que la Fédération des commissions scolaires. Il n'empêche, les parents sont en manque de repères et doivent être mieux informés. En parallèle, les inquiétudes que provoque le renouveau pédagogique chez les enseignants ressemblent beaucoup à ce que vous connaissez à Genève. D'où la nécessité de bien former les maîtres.

– Se focalise-t-on aussi sur les notes, comme à Genève?

– Pour vous montrer que rien n'est simple, le ministre de l'Education de l'époque, qui avait lancé la réforme de l'évaluation des apprentissages, avait été rabroué en pleine assemblée par le premier ministre, qui disait: «Moi, je préfère les notes.» Finalement, la réforme a été menée avec certains assouplissements et s'est relativement bien passée. Aujourd'hui, il y a une obligation de notes en 3e, 4e et 5e année secondaire. Au primaire, il est possible d'avoir des notes. En réalité, un certain nombre d'évaluations peuvent être traduites en notes. Une chose est sûre: l'évaluation doit permettre à l'enseignant de situer l'élève dans la classe. Toutefois, les parents, qui sont partie prenante de l'éducation des enfants doivent aussi être dans le coup. Il ne faut pas que les outils leur soient étrangers. Car le premier pôle de référence de l'élève, c'est la famille. Au niveau primaire, il n'y a qu'un titulaire, un enseignant. Il est dès lors plus facile d'évaluer les compétences transversales. Au secondaire, il y a plusieurs professeurs. Il faut donc créer une famille d'enseignants pour suivre l'évaluation et non pas s'arc-bouter sur une note statique.

– Vous êtes un ministre de droite, les réformes ont été initiées par la gauche. A Genève, c'est l'inverse, une ministre de droite a entamé la rénovation et aujourd'hui, c'est un ministre de gauche qui met un frein à la réforme.

– C'est la preuve que l'école n'est ni de gauche, ni de droite. Ce sont nos étiquettes politiques qui sont mal faites.

– A Genève, on a caricaturé le débat scolaire en guerre entre anciens et modernes. Aujourd'hui, les pédagogues sont mis au pilori et affublés du qualificatif de pédagogistes. Au Québec, ces derniers subissent-ils les mêmes critiques?

– Non, les pédagogistes ne sont pas ciblés. Chez nous, le débat est plus pragmatique. Les critiques s'attaquent à un point particulier: «Ça ne marche pas», elles ouvrent le débat et incitent à trouver des solutions. Ma rencontre avec Charles Beer m'a permis de comprendre qu'ici, les correctifs ne visent pas à faire une volte-face, mais au contraire à poursuivre de manière plus consensuelle, même quand on fait des grandes réformes.