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Déduction des frais médicaux: la droite genevoise vole au secours des contribuables

A la suite de l'arrêt du Tribunal fédéral annulant le plafonnement des déductions pour frais médicaux, le Conseil d'Etat a déposé un projet de loi fixant pour ces remises une franchise de 5% du revenu imposable. Mais l'avocat fiscaliste Michel Lambelet et la droite ne l'entendent pas de cette oreille.

A Genève, ce n'est pas encore l'harmonie fiscale. Et pour cause. Michel Lambelet, avocat fiscaliste qui a recouru avec succès, mais un peu à la surprise générale, auprès du Tribunal fédéral contre la nouvelle loi fiscale votée par le Grand Conseil en septembre 2000, a provoqué une dispute acharnée entre experts juridiques et partis politiques. Aujourd'hui, si l'avocat savoure une victoire saisissante, l'arrêt du 7 novembre de la Haute Cour annulant une disposition genevoise (Le Temps du 13 décembre) n'en finit pas d'agiter le canton du bout du Léman et pourrait avoir aussi des répercussions en Valais (lire ci-dessous).

Selon la nouvelle législation genevoise, tout contribuable était autorisé à déduire de son revenu imposable un maximum de 2250 francs par personne et par charge de famille (4500 pour les personnes âgées de plus de 65 ans) pour les frais médicaux que sa caisse maladie ne prend pas en charge. Mais les juges de Mon-Repos ont jugé la fixation de ce plafond non conforme à la loi fédérale d'harmonisation des impôts directs (LHID).

Mauvaise surprise pour la patronne des Finances genevoises, Micheline Calmy-Rey, qui, indépendamment de l'aspect purement juridique, jugeait la nouvelle loi «beaucoup plus juste socialement». A son corps défendant, la ministre et le Conseil d'Etat ont adopté en décembre un règlement transitoire avec effet rétroactif au 1er janvier 2001 pour ne pas laisser le canton sans disposition légale en la matière. Voici quelques jours, l'exécutif a déposé un projet de loi qui reprend tel quel le règlement. A défaut de plafond, le gouvernement a fixé une franchise de 5% du revenu imposable. Un contribuable au revenu de 100 000 francs ne peut ainsi déduire que les frais médicaux à sa charge qui dépassent 5000 francs. Cette franchise suscite de vives réactions. Le député socialiste Albert Rodrik résume ironiquement: «Après la guerre du plafond, voici la guerre du plancher (franchise, ndlr).» Mais Micheline Calmy-Rey se défend d'avoir fait preuve d'un excès de zèle: «Nous avons certes voulu être le plus fédéralo-compatible, mais il ne nous était pas possible de fixer un taux insignifiant. Cela aurait été contraire à l'esprit de la loi d'harmonisation des impôts directs.» Le malheur en quelque sorte, c'est que cette loi fédérale ne fixe aucun taux et précise qu'il incombe aux cantons de le faire. Mais quelle latitude ont-ils? Le député libéral Jean-Rémy Roulet pense qu'entre 0 et 5 %, «il y a une marge».

S'il est exagéré de parler de guerre, il n'en demeure pas moins que la question de la franchise suscite une véritable levée de boucliers à droite, et pourrait donner lieu à un débat animé lors de la prochaine séance du Grand Conseil le 24 janvier. Si les libéraux pensent émettre diverses propositions, les radicaux prennent la tête de la rébellion. Ils viennent de déposer un projet de loi – pour lequel ils ont demandé un traitement d'urgence – qui prévoit un taux de franchise symbolique de 0,1 % du revenu. Au cœur de leur réflexion: la nécessité de garder la neutralité du passage de l'ancienne à la nouvelle loi fiscale, car «c'est sur cette base que le Grand Conseil a voté la loi de septembre», relèvent-ils. Pour le député radical Pierre Kunz, cette franchise «est une augmentation déguisée de la fiscalité». A cet égard, Michel Lambelet est encore plus virulent: «Pourquoi le Conseil d'Etat s'arroge-t-il le droit d'adopter un règlement transitoire et de fixer un taux de 5%, qui représente une hausse d'impôt d'environ 38 millions de francs? Ce faisant, il viole la décision du Grand Conseil, lors du vote de la nouvelle loi, de fixer la franchise à 0 franc, volonté réaffirmée devant le Tribunal fédéral en janvier et mai 2001. Mais il viole aussi la loi qui vient d'être votée par les Genevois à la fin de l'année dernière, qui prévoit que toute augmentation d'impôt doit être soumise au référendum obligatoire.» Par rapport à cette dernière critique, Micheline Calmy-Rey reste sereine et ne conteste pas la nécessité, le cas échéant, de soumettre la question au vote des Genevois. Quant à la pertinence de l'adoption du règlement transitoire, la magistrate socialiste cite une lettre de l'Administration fiscale des contributions datée du 11 décembre 2001: «C'est donc à juste titre que le Conseil d'Etat […] envisage l'adoption du règlement transitoire.»

Juridisme, légalisme, politique

L'avocat Michel Lambelet tire aussi d'autres conclusions de l'arrêt de la Haute Cour. «Maintenant qu'elle a annulé le plafond, il est possible de déduire pleinement les frais médicaux», analyse-t-il. Il l'a en tout cas fait savoir par un courrier adressé au président du Grand Conseil avec copies aux conseillers d'Etat et aux présidents de parti. Le professeur et fiscaliste Xavier Oberson, représentant du Grand Conseil dans ce dossier et président de la commission de relecture de la loi incriminée, s'insurge contre cette interprétation: «Ce n'est pas parce que le Tribunal a jugé inconstitutionnel de fixer un plafond qu'il est désormais permis de déduire totalement les frais médicaux à la charge du contribuable. Car la LHID est claire: elle dit qu'il est possible de déduire seulement les frais qui excèdent une franchise déterminée par le droit cantonal.» Entre juridisme, légalisme et politique, la bataille s'annonce rude.